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Claire Maugeais

Photocopies noir et blanc gigantesques de photos, affichés sur des façades, des fenêtres, comme un « papier peint », moins décoratif que contestataire. Des installations monumentales qui imposent au regard les ratés d’un urbanisme moderniste. Une vision forcée d’autant plus dérangeante que, multipliés et agrandis, ces paysages urbains sont ceux qui nous entourent.

— Éditeur : Crédac, Ivry-sur-Seine
— Année : 2002
— Format : 16,50 x 21 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 45
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-914836-02-3
— Prix : non indiqué

Lire l’article sur « Mise au point », l’exposition de l’artiste au Crédac (21 sept.-27 oct. 2002)

Claire Maugeais – Que voyons-nous où nous voyons bien que l’on voit ?
par Paul Ardenne (extrait, p. 18-19)

Spectacles troublés
Répétées avec constance depuis une décennie, les interventions de type installation de Claire Maugeais sonnent comme une mise à mal d’un certain ordre établi de la représentation, celui, nommément, que cimentent les principes de cohérence ou d’homogénéité. La méthode Maugeais, à contresens des usages en la matière, hérités comme l’on sait de la Renaissance puis transcendés par les modernes, c’est de faire varier le point de vue et, ce faisant, de donner à voir comment renverser l’image ou le mécanisme de sa consultation équivaut à en modifier sens et portée symbolique. Confer, à ce registre, les multiples travaux d’occultation que réalise l’artiste à partir de 1996 : sur la fenêtre, ce mur transparent, Maugeais va ajouter l’image froide, retraitée en photocopie noir et blanc, sans nuance de gris, d’autres murs, ceux des architectures courantes de nos villes, ou de rideaux d’arbres. Spectacle insolite et échange, pour finir, d’un spectacle contre un autre, toutes valeurs bousculées. À Pougues-les-Eaux, en 1998, le marouflage d’images sur les fenêtres du centre d’art vient interdire la vision ordinaire que l’on forme en ces lieux, celle d’un paysage rurbain. À Sélestat, où elle intervient dans le parallélépipède style post-Bauhaus abritant le Fonds régional d’art contemporain (2001), c’est l’axe de la vision que l’artiste inverse : l’image photocopiée en très grand format d’une maison, répétée à intervalles irréguliers, est exposée en direction de l’extérieur, vers la rue. Et ainsi de suite, tandis que s’exprime dans chaque cas, outre le jeu avec la vision, une pulsion résolue au réaménagement. Saisi comme un « objet » voué à l’appropriation artistique, l’espace l’est aussi comme l’équivalent d’un médium. Maugeais travaille le lieu de même qu’un peintre travaille une toile.

Ajouter des figures sur une vitre, maroufler au moyen d’images importées les ouvertures d’un lieu : il en va là, dira-t-on, d’actes de décoration. Soit. Chez Claire Maugeais, cette dernière acquiert cependant un caractère spécifique, ne serait-ce que d’échapper aux contraintes de l’agréable, de l’harmonie ou de la quête de beauté plastique sous-tendant en règle générale le « décoratif ». Car chaque lieu que réaménage l’artiste ne l’est pas dans une perspective qui en verrait les qualités démultipliées mais à toutes fins de propulser le spectateur dans une dimension autre, dimension voulue, par l’artiste, problématique, de l’ordre de la déviation. S’il y a trompe-l’œil, par exemple, celui-ci s’annonce, il ne se dissimule pas sous les traits d’une réalisation virtuose, comme il est d’usage. Toute ambiguï;té quant au désir que pourrait manifester l’artiste de jouer avec le concept d’illusion se voit levée d’office, a contrario des règles du genre.

(Texte publié avec l’aimable autorisation du Crédac)

L’artiste
Claire Maugeais, née en 1964 à Angers, Pays-de-la-Loire, France, vit et travaille à Paris.