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Chronologie

Sous le titre Chronologies sont rassemblés divers écrits de Daniel Birnaum, directeur de la Städelschule de Francfort et de la Portikus Gallery, sur le thème de la temporalité dans l’œuvre, notamment, de Stan Douglas, Doug Aitken, Tacita Dean ou encore Philippe Parreno.

Information

Présentation
Daniel Birnbaum
Chronologie

Chronologie constitue un essai philosophique du commissaire et critique d’art Daniel Birnbaum sur la temporalité et la phénoménologie. Est-ce l’intentionnalité que décrit la phénoménologie et la présence charnelle du spectateur pénétrant le corps de l’art et explorant ses possibilités les plus extrêmes, qui déterminent les limites d’une éventuelle subjectivisation ? Ou bien est-ce l’œuvre elle-même qui définit les paramètres d’une nouvelle forme possible de subjectivité, impliquant éventuellement des modes de prise de conscience qui excèdent le cadre de la phénoménologie ? Telles sont les questions constituant l’enjeu de cet essai.

Les travaux de Stan Douglas, Eija-Lisa Athila, Doug Aitken, Dominique Gonzalez-Foerster, Tacita Dean, Darren Almond, Tobias Rehberger, Pierre Huyghe et Philippe Parreno sont ainsi scrutés à l’aune de cette interrogation, convoquant Nietzsche, Husserl et Deleuze.

Extraits de « Syncope »

«Une nécessité qu’il faut vouloir : tout ce qui se produit à l’instant dans l’univers s’est produit auparavant, et est destiné à se produire à nouveau, à chaque fois précédé et suivi des mêmes événements exactement. La finitude de l’univers et l’infinité du temps rendent possible ce paradoxe apparent. Les même agencements, monotones ou non, sont condamnés à se répéter. Ainsi, Donny, le jeune homme bien fait mais naïf de Win, Place or Show, l’installation vidéo réalisée par Stan Douglas en 1998, exposera encore et encore ses théories farfelues sur les forces mystiques responsables de la souffrance humaine. Et Bob, l’autre locataire – un peu plus âgé et plus fruste – de l’appartement où l’action se déroule, expliquera éternellement les règles d’un jeu ayant trait aux courses de chevaux d’une manière qui agacera Donny et provoquera une bagarre où Bob semblera prendre le dessus, avant que la lutte s’achève avec la remarque laconique : «Si je n’étais pas si fatigué, je t’en flanquerais une autre.» Et Donny répondra une nouvelle fois : «Je sais.» Et tout cela recommencera, éternellement.

Douglas a créé ce cosmos fini : le même dialogue et les même plans se répèteront exactement – mais seulement au bout d’environ 20.000 heures, en accordance avec un programme informatique qui gère de façon aléatoire la projection de deux vidéos murales, chacune montrant la « même » action depuis un angle de vue différent. Après environ six minutes, la boucle semble revenir au début, mais la répétition n’est pas identique. La légère altération, due au fait que la combinaison de plans obliques change constamment, nous donne l’impression que, peut-être, cette fois-ci, les choses se termineront différemment. Ce n’est jamais le cas : les deux bonhommes finissent toujours par se livrer à cette rixe tout à fait vaine. Ils sont prisonniers d’une machine qui ne leur offre aucune porte de sortie.

Comme toujours avec les installations de Douglas, les choses sont beaucoup moins simples qu’il n’y paraît. Mes premières impressions avaient trait aux diverses incongruités : voici deux hommes issus du prolétariat – des dockers, peut-être – qui se disputent et se bagarrent dans un appartement semblant à vrai dire étonnamment chic. Le fauteuil dans lequel Bob lit son journal hippique est un modèle de Bruno Mathsson. En fait, tout le décor m’a fait penser au modernisme scandinave dont le retour en force était défendu de manière agressive, précisément à cette époque, par le magazine Wallpaper. Le dialogue hostile et les trombes d’eau qui obscurcissent le panorama de gratte-ciel entraperçu derrière les grandes fenêtres forment un curieux contraste avec ce cadre si soigné. Et pourquoi au fait ces types vivent-ils ensemble ? Parce qu’ils ne peuvent pas se payer chacun leur propre logement ? Parce qu’ils sont homosexuels ?».

Daniel Birnbaum, né à Stockholm en 1963, est commissaire, critique d’art et philosophe. Il est recteur à la Städelschule Art Academy de Francfort et directeur de la Portikus Gallery. Rédacteur associé de la revue Artforum, il est l’auteur de nombreux textes sur l’art et la philosophie.