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Christophe Girard

Le Maire adjoint de Paris chargé de la Culture tire le bilan de la dernière Nuit blanche et du nouveau tramway. Il énumère les chantiers restant à livrer. Un an avant les prochaines élections municipales, il nous parle des projets d’après campagne, placés sous le signe du théâtre et du cinéma d’art et d’essai.

Pierre-Évariste Douaire. Quel bilan tirez-vous de la dernière Nuit blanche?
Christophe Girard. Le bilan n’est plus parisien mais international. Le modèle s’exporte à Rome, Montréal, Toronto… prochainement Tokyo et New York. C’est un événement qui grandit, qui gagne en maturité. Nous avons corrigé les défauts des années précédentes, et nous sommes attentifs aux manques éventuels. Nous fêtons la cinquième édition et l’aspect le plus positif c’est que Nuit blanche semble être là depuis très longtemps. Elle est attendue par les Parisiens, elle ponctue la rentrée. La réception est bonne chez les habitants. C’est un outil dont ils comprennent la portée et l’importance. Les artistes répondent présent. Chaque année ils sont de plus en plus nombreux, tout comme les œuvres.

Qui sera le prochain commissaire de la Nuit blanche?
L’exigence artistique grandit chaque année. Les commissaires précédents étaient Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, du Palais de Tokyo. Le nouveau maître de cérémonie sera Jean-Marie Songy, qui s’occupait du festival des arts de rue d’Aurillac. Le succès d’une telle manifestation puise sa raison d’être dans le renouveau. Chaque commissaire doit venir avec sa personnalité, sa sensibilité et son parcours.
Nous réussissons à éviter toute répétition et à préserver l’esprit originel. La ville se découvre sous un nouveau jour. Les déambulations permettent de fouiller le patrimoine architectural de Paris. La finalité reste l’accès privilégié aux œuvres d’art contemporain disséminées dans toute la ville.

Sur quoi avez-vous envie de mettre l’accent pour la prochaine édition?
La réussite du chantier entrepris à la Goutte d’or nous donne envie de continuer à porter nos efforts en direction des quartiers en transformation. Ils sont trop souvent stigmatisés, trop facilement réduits aux problèmes de sécurité, de violence et de pauvreté. La démonstration a été faite que ces habitants sont très heureux de côtoyer de l’art, même le plus insolite!
L’aspect éphémère de la Nuit blanche correspond bien à ces quartiers pleins de vie. Dans ce Paris plus excentré, moins habitué aux vernissages, il y a de vraies réactions qui se produisent. Contrairement aux autres quartiers, les habitants prennent position, parlent, discutent à propos des œuvres. Cette réactivité incite les artistes à intervenir différemment.

La Nuit blanche sert aussi à exposer et à vendre des œuvres?
Il faut que les artistes s’y retrouvent. Il arrive que de grands collectionneurs sillonnent la ville et achètent de belles pièces. Si la Nuit blanche permet à la fois d’être artistiquement innovante et viable économiquement pour les artistes, c’est une bonne nouvelle. Cela les encourage à revenir à Paris, cela leur permet de vivre de leur art, ce qui n’est pas simple aujourd’hui.

Vous travaillez de concert avec les galeries pour la Nuit blanche?
Les galeries sont maintenant presque toutes ouvertes dans la nuit. Lors des premières éditions j’avais découvert la galerie Jocelyn Wolff. Elle avait eu le courage de s’installer dans le XXe arrondissement, loin des réseaux de l’art contemporain. C’était un engagement audacieux qui méritait d’être encouragé. Elle a été associée très rapidement à l’événement. C’est une bonne chose.

Que répondez-vous aux gens qui critiquent la Nuit blanche en disant qu’elle est l’arbre qui cache la forêt? Pour ses détracteurs les moyens financiers sont concentrés sur un événement unique au détriment d’un travail à long terme avec les artistes.
L’un n’empêche pas l’autre. La Nuit blanche a été faite en plus du travail de fond que nous menions et que nous continuons. Nous réformons actuellement les Conservatoires, nous construisons des médiathèques et des bibliothèques.
Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris à rouvert, avec Fabrice Hergott comme nouveau directeur. Le Petit Palais a lui aussi été restauré. Le chantier du 104 de la rue d’Aubervilliers est considérable. Il sera le premier centre d’art contemporain de création et de résidence à Paris, dans le nord-est, avec une surface de plus de 20 000 m2.
La Gaîté Lyrique, la Maison des Métallos, la Cité de la Mode et du Design dans le XIIIe arrondissement, la médiathèque Marie Yourcenar dans le XVe arrondissement, celle de Marguerite Duras dans le XXe sont des exemples parmi beaucoup d’autres de nos nombreux projets.
Nous adresser ces critiques est injuste. Vous le constatez comme moi à l’énoncé de cette liste de chantiers. Nuit blanche ne prend la place de personne, aucun musée ne ferme. Le mouvement s’invite à Paris, il concerne autant l’art contemporain que la conservation et la mise en valeur du patrimoine commun.

Nuit blanche ne représente pas une dépense excessive?
Il y a toujours des grincheux, mais avancer ce type de propos c’est faire un petit procès d’intention sans intérêt au vu du succès international que remporte Nuit blanche. Dix capitales nous ont emboîté le pas. Les dépenses sont raisonnables, elles coûtent le prix d’un café par habitant, pour toute la nuit. Pour chiffrer le budget plus précisément, je vous répondrai que les deux tiers sont publics et que le reste provient du mécénat et des sponsors. La Mairie de Paris dépense un million d’euros et les soutiens privés en apportent cinq cents mille. Ce forfait est raisonnable, il permet à des milliers d’artistes d’exposer et de vendre.
Les répercutions sur le plan économique sont très intéressantes pour les commerçants et les hôteliers, beaucoup de visiteurs viennent spécialement pour l’occasion. Mis à part cela, il faut surtout insister pour dire que les Parisiens sont très heureux. Ils passent une nuit de bonheur.

D’autres voix estiment que la manifestation tourne au spectacle. La confusion des genres, le divertissement parasiteraient l’appréciation des œuvres?
Il faudrait m’expliquer pourquoi les artistes décident de venir alors? Il n’y a qu’eux qui peuvent vous répondre. Allez voir Xavier Veilhan, Jean-Michel Othoniel, Christian Boltanski, Sophie Calle, Annette Messager. A la place d’écouter ce genre de discours il faudrait mieux se tourner vers des personnalités qui aiment l’art actuel et qui accompagnent son évolution.

Quel bilan tirez-vous des premiers mois d’exploitation du tramway?
Le tramway est une réussite, il fonctionne, il draine avec lui un grand nombre de voyageurs. Il change totalement la physionomie du boulevards des Maréchaux. Le trajet est ponctué par toute une série d’œuvres d’art. C’est très ambitieux. Le public est curieux et heureux à la fois. Le tramway rend service mais il permet de se distraire grâce à toutes les sculptures qui jalonnent le parcours. L’étonnement est au rendez-vous. Je pense par exemple aux palmiers de Bertrand Lavier. Le monde entier à l’air de trouver ça bien, s’il y a quelques Parisiens que cela dérange ou quelques spécialistes de la culture qui objectent, cela prouve que le système démocratique fonctionne bien.

J’ai interviewé Dan Graham qui a réalisé une œuvre pour le tramway. Je lui reprochais de ne pas avoir aussi critique qu’à son habitude vis-à-vis de l’urbanisme et de l’architecture. Pour moi le tramway trace une frontière sociale, économique, écologique entre Paris et la banlieue. Pour prendre un exemple précis, il empêche l’accès des voitures dans la capitale.
Il ne faut pas nous reprocher d’appliquer le programme pour lequel nous avons été élus. La municipalité s’est engagée dans le contrat de mandature à réduire la place de l’automobile dans Paris. Ceux qui râlent contre ces mesures peuvent continuer, car nous allons continuer à réduire le nombre des voitures dans Paris. Ces dispositions vont être renforcées car elles sont absolument nécessaires pour favoriser le bien être des personnes et de l’environnement. Dans vingt ans, les villes vont exploser et étouffer. Nous le savons et nous réagissons en conséquence. Nous rejetons l’individualisme et préférons partager l’espace public pour tous. Le but n’est pas de décourager les travailleurs à prendre leur voiture, mais d’inciter le plus grand nombre à s’en passer. Pour réaliser cette transition nous augmentons l’offre des transports en commun. Ces dispositifs ont permis une baisse de la pollution de 30 %. C’est encourageant.

Quels sont les projets culturels à venir de la Mairie de Paris?
Comme il nous reste un an de mandature avant les prochaines élections, l’action est à l’heure des rendez-vous pris il y a quelques années. Nous livrons en temps et en heure ce que nous avions promis. Un certain nombre de chantiers reste à livrer comme la réforme des Conservatoires ou la rénovation du Forum des images qui doit numériser ses collections. Ce sont des efforts de longue haleine qui sont très importants mais peu visibles. Il reste à achever la Cité de la Mode et du Design, la Gaîté Lyrique, la Maison des Métallos, le 104 de la rue d’Aubervilliers.
En plus de nos engagements initiaux nous achevons les Trois Baudets consacré à la chanson française dans le XVIIIe arrondissement, l’installation de l’agence Magnum, l’achat de l’ancien bâtiment Tati, le Louxor, seul bâtiment d’inspiration néo-égyptienne à Paris pour en faire un lieu de culture. Cela fait beaucoup de choses.

Vous évoquez les prochaines élections municipales. Votre équipe a démontré qu’un événement culturel comme la Nuit blanche pouvait permettre à une ville de rayonner au-delà de ses frontières. Allez-vous vous servir de votre bilan culturel pour peser sur la réélection de Bertrand Delanoë?
Les prochaines élections sont pour mars 2008. Il faut donner le résultat de son bilan, car nous avons des comptes à rendre. Si le maire se représentait en 2008, j’aimerais proposer avec mon équipe, une réflexion sur la place du spectacle vivant, sur le théâtre, sur le cinéma d’art et d’essai. Il y a de vraies questions à se poser.
Comment faire vivre le théâtre à Paris dans les vingt ans à venir? Comment s’organiser avec deux grosses institutions comme le Théâtre de la Ville et le théâtre du Châtelet, qui ponctionnent une grosse partie du budget? Comment fait-on vivre les petits théâtres d’arrondissement? Comment les cinémas d’art et d’essai pourront survivre et même se développer dans les années à venir? La priorité de notre engagement doit favoriser l’accès à l’éducation artistique dans les écoles, redonner une place à la lecture publique. Beaucoup de choses restent à entreprendre mais peut-être dans un registre moins spectaculaire.

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