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Christian Boltanski

Monumenta 2010 met à l’honneur le travail de Christian Boltanski. Il exprime ici ses impressions quant sa participation à l’événement et à ce lieu hors-norme qu’est le Grand Palais. «L’art consiste à poser des questions, à donner des émotions, sans avoir de réponse.»

Catherine Grenier. Que signifie pour vous réaliser une oeuvre inédite au Grand Palais ? Comment regardez-vous les lieux de vos installations ?
Christian Boltanski. Selon moi, le plus important pour un artiste est de savoir en quel lieu il se trouve, tout espace étant particulier et posant des problèmes bien spécifiques. L’architecture et l’espace du Grand Palais imposent leurs formes et leurs présences à l’artiste, qui réalise une sorte de collage. C’est le contraire du white cube, qui se plie à la volonté de l’artiste, et c’est précisément ce genre de lieu qui m’intéresse…

En découvrant cet espace, comment s’est constitué votre projet artistique et son insertion dans ce lieu ?
Il y a ce que l’on a envie de faire et de dire – la raison principale qui nous fait agir – et les conditions dans lesquelles on est placé. Le fait de se situer au milieu de Paris, dans un espace très baroque imprégné d’une forte présence, de s’adresser à un public extrêmement large, oriente naturellement les choix et les décisions artistiques. Le Grand Palais est pour moi un lieu de spectacle. En tant que tel, il inspire et appelle la fabrication d’une grande mise en scène qui dépasse totalement l’idée d’oeuvre muséale et, plus encore, le fait de créer une oeuvre dans une galerie. Quand je travaille au Grand Palais, j’ai la sensation de réaliser un opéra, avec cette différence que l’architecture remplace la musique. L’oeuvre est une scénographie.

Selon vous, quelle est la différence entre une oeuvre conçue pour l’espace d’un musée et une oeuvre conçue pour l’espace du Grand Palais ? Et comment
cette différence marque-t-elle votre travail ?

Ce qui m’intéresse principalement aujourd’hui c’est que le spectateur ne soit plus placé devant une oeuvre, mais qu’il pénètre à l’intérieur de l’oeuvre. Contrairement à une exposition classique dans un musée, où l’art défile sous notre regard, le Grand Palais est un lieu propice à une expérience qui immerge le spectateur, puisque tout l’espace fait partie de l’oeuvre. Le son, le climat, la manière de déambuler, y compris la gêne suscitée à certains endroits de passage, les matériaux utilisés, tous ces éléments sont constitutifs d’un projet artistique qui est une oeuvre globale.

Depuis longtemps déjà je cherche à réaliser des installations à la frontière entre les arts plastiques, au sens traditionnel du terme, et des oeuvres théâtrales ou musicales. Ce qui manque habituellement aux arts plastiques c’est l’idée de déroulement, de progression depuis un point de départ, une entrée, vers une certaine finalité. J’ai voulu un déroulement du temps différent de celui de l’espace muséal où l’on passe simplement d’un tableau à l’autre, puis d’une salle à une autre. Avec l’oeuvre que j’ai réalisée au Grand Palais, on est à l’intérieur d’un monde. Plutôt qu’objet de contemplation, cette installation forme un espace d’immersion. Cette oeuvre est à l’image des cercles de L’Enfer de Dante, elle environne totalement la progression du spectateur et le marque d’un sentiment profond. Même les réactions des spectateurs, ses peurs ou ses colères, sont parties intégrantes du déroulement de l’oeuvre.

S’agit-il pour vous d’une expérience proposée au visiteur ?
C’est exact. Le fait d’avoir froid, d’être angoissé et bouleversé, de chercher la sortie, de vouloir retrouver la vie à tout prix est une expérience originale, prélevée sur le coeur vivant de l’oeuvre. Mes installations sont souvent propices à de pareils retournements. Après avoir progressé au travers de lieux de plus en plus sombres, de plus en plus tristes, on retrouve soudain un espace de vie et de mouvements joyeux. C’est un retournement de la tragédie vers la vie. C’est aussi le cas dans mon projet au Grand Palais. Cette installation est conçue pour produire un puissant sentiment d’oppression. Il s’agit d’une expérience dure et je suis convaincu que les
gens éprouveront un soulagement en sortant. C’est la beauté de l’architecture et l’immensité de l’espace du Grand Palais, cette étendue vague et abandonnée, qui m’ont permis de proposer cette expérience directe. Dans ce cadre, le jugement sur l’oeuvre, le fait qu’on l’aime ou pas, n’est plus pertinent; il ne s’agit que d’éprouver
et d’être imprégné.

Qu’aimeriez-vous dire à un visiteur peu familier d’art contemporain et qui entre dans le Grand Palais pour découvrir Personnes ?
C’est facile, je ne m’adresse pas aux spécialistes de l’art contemporain. Mon art est extrêmement traditionnel et très classique. Les questionnements en art restent toujours profondément les mêmes. Ceux que j’aborde ici sont le hasard, la loi de Dieu, la mort. Le fait aussi qu’à partir d’un certain âge on a le sentiment de traverser en permanence un champ de mines, on voit les autres mourir autour de soi, alors que, sans raison, on reste, jusqu’au moment où on sautera à son tour. Tel est le sujet de Personnes. Je pense que chacun peut ressentir ce genre d’émotions sans qu’il soit nécessaire de connaître quoi que ce soit à l’art contemporain. Je dis toujours pour m’amuser que si, ayant visité une de mes expositions, le visiteur déclare «voilà un très bon artiste post-conceptuel», c’est qu’il s’agit forcément d’une exposition ratée. Il faut au contraire que le visiteur arrive, qu’il avoue ne rien comprendre à ce qu’il voit et à ce qu’il ressent, et se mette à pleurer ou à rire sous le coup de l’émotion. Le sentiment artistique dépasse la lecture du cartel.

Imaginez cependant que vous vouliez inviter un ami ou un proche qui n’a aucun rapport avec l’art sous quelque forme à visiter l’exposition, que lui diriez-vous ?
Votre question me rappelle l’histoire de l’exposition que j’avais faite à Saint-Jacques-de-Compostelle. Le musée ne m’avait pas plu et l’on m’avait alors confié une église, dans laquelle j’avais réalisé une grande rétrospective. La veille de l’ouverture, une vieille dame arrive et me demande ce qui se passe dans cette église. Je lui dis que nous préparons une festivité en l’honneur des morts. Elle a trouvé l’exposition magnifique ! Si je lui avais dit qu’il s’agissait d’une exposition d’art contemporain, elle aurait trouvé cela honteux de réaliser cette exposition dans une église. Tandis qu’ainsi, elle a vraiment compris qu’il s’agissait d’une célébration des morts. Il faut voir la chose telle qu’elle est. Personnellement, je pense qu’il n’y a pas de progrès en art. J’ignore ce que recouvre le vocable d’art moderne. L’art consiste uniquement à poser des questions, à donner des émotions, sans avoir de réponse.

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