ART | CRITIQUE

Chloé Top, Versace Pants : Œuvres récentes

PCéline Piettre
@16 Juin 2009

Dans son atelier saturé de musique électronique, Franck Nitsche compose un univers abstrait aux tonalités douces, lisse et un brin monotone à l’image de la globalisation visuelle ou foisonnant de signes, jusqu’à la perte de sens.

Les peintures de Franck Nitsche nous soumettent très vite aux tentations référentielles, celles de voir en ces surfaces lisses, ces lignes brisées en angles aigus par des déviations brutales, ces courbes parfaites tracées au compas, les vestiges d’un suprématisme ou d’un néoplasticisme d’un autre âge.
Une impression que vient confirmer l’appartenance de l’artiste à l’École abstraite de Dresde? dont on suppose la révérence aux maîtres de la modernité et à leur géométrisation strictement codifiée ? et la constance de la palette: les gris et les roses pastels, les noirs, les beiges et les marrons.

Pourtant, le peintre est loin de se complaire dans la nostalgie de l’art moderne. Comme chez Fiona Rae, exposée à la galerie Nathalie Obadia il y a quelques mois à peine, l’abstraction formelle se nourrit d’existant. Ses toiles concentrent, condensent notre environnement visuel, transcrit non pas de façon mimétique et particulière, selon une logique figurative, mais dans son essence, en termes de flux, de réseau, de forces, de tendances et dont le foisonnement — ou plutôt la surcharge — se devine dans la superposition systématique des plans (un peu comme les pistes de son mixées sur un ordinateur).

L’écriture de Franck Nitsche, si écriture il y a, est celle de l’informatique, du numérique. Ses formes aérodynamiques montrent sa passion pour le design industriel, et s’il fallait l’inscrire à tout prix dans une filiation, il serait plus juste de convoquer Gerhard Richter que Malevitch ou Mondrian…

Mais à la différence des œuvres de Fiona Rae, exubérantes et jubilatoires, explosives, les peintures de l’artiste s’installent dans une certaine neutralité, que l’adoucissement progressif de la palette n’a de cesse de renforcer, transformant le dynamisme interne en une répétition ennuyeuse, comme celle des programmes défilants des écrans de veille.
Une trajectoire, un mouvement qui ne se limitent pas au cadre du tableau et qu’on soupçonne infinis dans le temps et dans l’espace. Se référant au goût de l’artiste pour la musique électronique, Jean Charles Vergne compare d’ailleurs ces formes à «bruits blancs contrôlés dans leur étendue spatiale comme dans leur durée».

Puis, aux côté des toiles à l’aspect léché, que leur auteur n’hésite pas à aplanir à l’aide d’une ponceuse, un totem constitué de packs de bière scotchés les uns aux autres, seul représentant ici de la troisième dimension, s’impose en idole post-moderne. Couvert d’autocollants faisant la promotion de marques, affichant des slogans populaires et des logos célèbres (le lapin de Playboy), il sert au culte de la consommation mondialisée.
Le contraste avec le soin presque clinique apporté à la réalisation des peintures évite à l’artiste les étiquettes stylistiques et dévoile sa source principale d’inspiration: l’intarissable chaos d’images que constitue notre culture visuelle. Une sorte de Brancusi de défilés de mode, support d’une vénération de l’usage, du Chloé Top et des Versace Pants.

Franck Nitsche
— CTB-13-2009, 2009. Huile sur toile, 130 x 105,5 cm.
— FLU-09-2009, 2009. Huile sur toile, 240 x 200 cm.
— ICE-11-2009, 2009. Huile sur toile, 220 x 200 cm.
— LIF-07-2009, 2009. Huile sur toile, 250 x 200 cm.
— PAN-10-2009, 2009. Huile sur toile, 160 x 290 cm.
— SIS-14-2009, 2009. Huile sur toile, 47,5 x 32,5 cm.
— HEA-12-2009, 2009. Huile sur toile, 170 x 150 cm.

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