ART | CRITIQUE

Charles Burns

PEmmanuel Posnic
@04 Jan 2011

Alors que l'éditeur Cornélius sort en 2010 le dernier opus de Charles Burns, la galerie Martel envisage de son côté une exposition monographique inédite reprenant les travaux de l'illustrateur et auteur de bande dessinée américain.

Une double actualité donc qui présente le mérite de rendre hommage à l’un des plus grands auteurs de bande dessinée contemporain outre-Atlantique. A classer dans la galaxie de l’Underground parmi les Robert Crumb et Art Spiegelman. Certainement moins prolifique que ces derniers, le travail de Charles Burns se révèle dans la longueur, dans une forme de maturation exigeante. Mais profitable: Black Hole, sa dernière série publiée a déjà connu une adaptation au cinéma et fait partie, selon The Comics Journal, des cent meilleurs comics de langue anglaise.

Toxic, premier volet d’un nouveau projet déjà bourré de belles promesses, gagne encore en épaisseur, en justesse et en capacité à suggérer d’autres possibles. A tel point que l’album a donné vie à un autre album intitulé Johnny 23, un avatar inventé par Burns lui-même qui reconstitue une sorte d’histoire en creux, à partir des planches de l’original redisposées et réétalonnées. Avec de nouvelles entrées, s’il est encore possible que Toxic en ait laissé, de nouveaux développements et plus improbable encore, un nouveau langage.

Certaines de ces planches sont montrées dans la galerie Martel, avec une centaine d’autres dessins. La plupart encadrée au mur, les autres, notamment les esquisses préparatoires, sont accrochées à l’horizontale près du sol.

Au-delà de la profusion, l’enchaînement des planches dans un espace aussi réduit peut freiner le regard, c’est l’unité que l’on observe. D’abord évidemment, dans la tonalité en noir et blanc. Même si l’édition de Toxic est en couleur, une première pour Burns, les planches d’exécution sont traitées comme l’ensemble de ses travaux. Tout se déploie chez lui dans un univers purement graphique et essentiellement dual; des noirs épais face à des blancs arides, des contours finement tracés, des volumes appréhendés par des hachures profondes et ciselées. Un jeu permanent de clair-obscur et d’ombres forcées, de celles qui inspirent les moments tragiques des films fantastiques, à la façon d’un Friedrich W. Murnau ou d’un Fritz Lang.

Un sillon expressionniste qui frappe à l’évidence l’Å“uvre graphique de Charles Burns et qui a également traversé une grande partie du comics américain. Mais Burns est allé chercher d’autres sources, beaucoup plus inédite chez les auteurs de sa génération, notamment du côté de la bande dessinée européenne.
Si Toxic rend un hommage appuyé à Tintin (le personnage central de la bande dessinée semble être son double gonflé à la Punk attitude), la Ligne claire chère à Hergé et Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer), la planche dessinée selon un quadrillage orthonormé et, depuis Toxic, le format «album» pratiqué par les éditions franco-belges lui servent bien souvent de jalon.

D’autres repères culturels s’agrègent autour du style Burns, ceux-là moins facile à déchiffrer. Les errances de la Beat generation, William Burroughs et Richard Brautigan en tête, la scène rock et punk américaine, une certaine esthétique surannée des années cinquante et soixante entourent avec bienveillance la douce inquiétude qui plane sur les visages de Toxic ou l’exaltation perceptible dans le portrait que Burns tire de James Brown.
Du récit dilettante façon El Borbah (le détective au masque de catcheur mexicain) jusqu’aux questionnements sur la mort et l’identité adolescente tels qu’ils apparaissent depuis Black Hole, le prisme de Charles Burns ne connait pas de frontière.
Ses supports non plus. Charles Burns partage son travail entre bande dessinée et illustration. Dans l’exposition, l’enchainement des planches, des esquisses, des portraits marque l’éclectisme de son approche. On le voit tour à tour servir ses propres personnages, réaliser des couvertures pour The New Yorker, The Believer, Playboy ou encore le New York Times, et participer à Peur(s) du noir, une série de films d’animation à plusieurs mains dirigé par Etienne Robial dans lequel, outre Burns, se croisent Blutch, McGuire et DiScullio. Il n’y a que les illustrations pour publicité qui manquent à l’appel. Mais c’est un moindre mal. Le parcours serpentin de l’américain, tel qu’il est montré ici, rejoint bien la mixité et les constantes de son Å“uvre.

La monographie de Charles Burns est pleine de pépites, extrêmement dense et documentée. Elle met une fois de plus en avant l’important travail fourni par la galerie Martel depuis sa création en 2008 autour des grands noms de l’illustration et de la bande dessinée contemporaines. Travail essentiel puisqu’à Paris, il reste sans précédent.

— Big Baby, 2003. Ed. Cornélius, coll. «Solange»
— Fleur de peau, 2005. Ed. Cornélius, coll. «Solange»
— Black Hole: l’intégrale, 2006. Ed. Delcourt, coll. «Contrebande»
— El Borbah, 2008. Ed. Cornélius coll. «Solange»
— Toxic, 2010. Ed. Cornélius, collection «Solange». Lire la critique du livre par Emmanuel Posnic.

 

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