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Chaos

Le solo, c’est le b.a.ba de la danse. Et de la chorégraphie. Orpheline s’exprimant sur scène simplement, au moyen de son instrument corporel, parée de vêtements casual mais chic, choisis avec attention, d’une coiffure nette et sans bavure, d’un maquillage à peine perceptible à l’œil nu, Odile Gheysens s’est produite dans un des beaux studios du Centre national de la danse, avec, en playback, dupliquée en mp3 sur un iPod connecté à la sono, une composition pianistique de Rami Khalife.

Le solo, c’est la danse light. Et le trio — ou la triade —, la formule idoine, idéale, selon Oskar Schlemmer ou Doris Humphrey. Pour Mlle Gheyens, aussi. Et selon toute apparence. Celle qui fait valser sur un même linoléum, une même ligne d’horizon, le « designer lumière », le musicien et la danseuse. Les trois arts sur un même plan d’égalité — ou de fra-ter-ni-té.

Koert Vermeulen, qui a conçu l’éclairage du show, n’étant pas là, on s’est contenté de contempler la danse, au son, et même au diapason, du piano, sous les sunlights tamisés du studio.

La musique de Rami Khalife, quant à elle, se laisse voir. Et même entendre. Elle donne le la, la tonalité, l’atonalité par la même occasion, ainsi que le titre, à la pièce montée par la Cie In-Senso — la chorégraphe, renforcée par Marion Ballester (collaboration artistique), Barbara de Limburg (scénographie), Faye Formisano (costumes) et la collaboratrice de Paris-art Juliane Link (production et diffusion).

Le titre heuristique, voire biblique, a été inspiré — le mot n’est pas trop fort — au musicien par les raids aériens de l’armée israélienne au Liban, son pays natal, en juillet 2006. Le titre s’applique naturellement aux destructions de cette guerre de bientôt cent ans au Proche Orient et à la violence, de façon plus générale.

Le solo dure moins de la moitié de la musique qui fait tout de même son heure chrono. Il est parfaitement agencé. Sa structure, cyclique, présente une assez longue période au sol et différentes parties nettement distinctes, rythmiquement et visuellement parlant.

Narrative, éloquente, touchante, la chorégraphie dose les contrastes, passe d’un état de corps à l’autre, varie les mouvements et leurs effets dramatiques sur des spectateurs particulièrement attentifs, par avance acquis à la cause de la danse.

Les qualités techniques de l’interprète, rompue (les cicatrices ne sont pas trop visibles !) aux expériences trans-genres (ballet, contemporain, tango, voltige, cirque, escalade, performance), lui permettent de passer en revue une large palette gestuelle, à base de reptations, saltations, équilibres, tours, ondulations, désarticulations…

Par moments, l’intensité est telle que nous revient à l’esprit, on ne sait pourquoi, la fusion entre la musique et la danse qu’incarna dans les années trente, avant la révolution cagienne ou cunninghamienne, le duo Horst-Graham. La danse d’Odile Gheysens est pure mais pas dure. Claire. Fluide. Évidente.

— Piano : Rami Khalife
— Chorégraphie et danse : Odile Gheysens
— Lumières : Koert Vermeulen
— Collaboration artistique : Marion Ballester
— Costumes : Faye Formisano
— Scénographie : Barbara Delimburg