ART | CRITIQUE

Chair

Vernissage le 09 Mar 2015
PFlorian Gaité
@09 Mar 2015

Conceptuel et concret tout à la fois, le travail pictural de Sylvie Fanchon interroge les modes de visibilité plus qu’il ne vise la représentation. Pour sa monographie au Crac Languedoc-Roussillon de Sète, elle expose une série de «tableaux-scotch» inédite, inspirée par le thème de la chair. Installant un jeu entre les évocations formelles et fantasmatiques, sa proposition minimaliste double les conditions de la réception esthétique.

Autour du thème de la carnation, Sylvie Fanchon applique un principe de bichromie (noir et couleur chair) à des acryliques sur toiles de différents formats, installant une confusion entre les genres picturaux et les champs d’évocation. Ses «tableaux-scotch» empruntent en effet leur forme à l’abstraction (elle ne retient de la peau que sa couleur) tout en indiquant un retour à la figure concrète (les œuvres deviennent rapidement des corps incarnés). Variations géométriques ou évocations brutes du motif cutané, Sylvie Fanchon fait ainsi varier les perspectives pour questionner notre vision de la chair.

Spécialement réalisés pour l’exposition, les quinze «tableaux-scotch» relèvent avant tout de la composition abstraite: des juxtapositions d’empreintes de bandes de ruban adhésif, couleur chair, se détachent sur fond noir. Une partie d’entre eux repose sur un principe de répétition et présente des alignements de bandes parallèles, de même épaisseur, quand deux petits formats — quatre bandes «chair» encadrant un monochrome noir — annoncent plus clairement, du moins en surface, un refus de la représentation.

Cette distance apparente prise avec le genre figuratif est encore renforcée par la mise en évidence du travail de la matière. Proche sur cet aspect des intentions de Supports/Surfaces, Sylvie Fanchon exhibe les imperfections techniques et intègre les bords de la toile à la composition. Les tranches des tableaux laissent ici apparaître les successions de couleurs primaires qui ont permis de produire le fond noir, mais aussi les traces laissées par le ruban adhésif durant la réalisation de l’œuvre. En laissant apparent le bricolage apparent, Sylvie Fanchon, livrant au regard du public un objet sans forme immédiatement reconnaissable, fait écho à la construction mentale qui préside à la visibilité.

L’usage de la couleur, la forme arrondie des extrémités des bandes de scotch perturbent pourtant le dispositif et engagent la perception dans un processus de projection qui confère à ces tableaux des significations plus concrètes. Parmi eux, ceux dont l’organisation des bandes n’est pas symétrique ou ordonnée, mais assemblée de manière plus aléatoire, évoquent des tranches de livres empilés dans une bibliothèque dérangée ou encore un texte caviardé. La couleur chair enclenche un quasi réflexe biologique de reconnaissance du corps, tandis que l’association d’idées créée avec le scotch, déchiré manuellement, transforme ces empreintes en pansements de fortune sur un corps en mue, blessé, avec lequel on peut presque compatir. Déchirés, pelés, voire accidentés, les tableaux-chair présentent des irrégularités de surface comme autant d’anomalies de peau. Dans cette grande salle à la hauteur conséquente, les œuvres apportent toutefois à l’espace une réelle sensualité, venant maquiller le volume de sa palette de fonds de teint, lui donner corps, littéralement l’incarner.

La fresque murale, la deuxième réalisée dans toute son œuvre, répond au même principe pictural que les «tableaux-scotch». Dans ce grand format, à taille humaine, Sylvie Fanchon aligne les bandes à la verticale, légèrement inclinées vers la gauche ou vers la droite, de façon à laisser apparaître à leurs points d’intersections de petits triangles noirs. Pointes, piques ou petits os rangés, ils structurent la composition en lui dessinant des colonnes vertébrales, appuyant la référence à l’anatomie.

Pour terminer le parcours de l’exposition, Sylvie Fanchon a placé deux peintures de petits formats dans le fond de la salle: des doubles paires de Moustaches sur fond vert. Placés comme des valets ouvrant sur la monographie de Nina Childress dans les salles suivantes, elles réalisent un dernier contrepoint ironique entre les genres corporels, la pilosité contrastant avec l’aspect maquillage de la teinte d’ensemble.

Sylvie Fanchon livre avec «Chair» une proposition simple et fine dont le minimalisme apparent, comme souvent dans son œuvre, contraste avec l’épaisseur interprétative. Dans une totale économie formelle, elle offre la possibilité, à chaque variation, d’éprouver la plasticité de notre visibilité face à l’évocation de la chair, en passant de la contemplation formelle de la peau à l’élaboration d’un fantasme du corps.

Sylvie Fanchon, « Chair »
Crac Languedoc-Roussillon, Sète
Du 06 février au 31 mai 2015

Å’uvres
— Sylvie Fanchon, série «Tableaux-scotch», 2014. Peinture, acrylique sur toile. 40 x 60, 60 x 80, 120 x 150, 130 x 196 cm
— Sylvie Fanchon, Scotch, 2015. Peinture murale, 250 x 400 cm
— Sylvie Fanchon, Moustaches, 2013. Peinture, acrylique sur toile, 60 x 80 cm

AUTRES EVENEMENTS ART