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Centquatre. José-Manuel Gonçalvès

Longtemps déserté par le public, le Centquatre se refait une santé avec une programmation jubilatoire et un nouveau capitaine de bord, José-Manuel Gonçalvès.

Elisa Fedeli. Au moment où vous avez candidaté pour la direction du Centquatre, comment avez-vous analysé ce lieu? Quelles étaient pour vous ses potentialités et ses handicaps?
José-Manuel Gonçalvès. La réponse renvoie à mon tempérament. J’ai tendance à regarder le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. J’ai donc appréhendé davantage les potentialités du lieu. Ma position de principe est la suivante: c’est un lieu qui se doit d’être, avant de devenir. Une de mes premières intentions a été de définir très vite la programmation, afin de tester un certain nombre d’idées. L’idée centrale est d’animer ce lieu avec les artistes et de rendre leur présence visible pour le plus grand nombre.
Le Centquatre se situe entre le jardin public, le théâtre et la galerie d’art. «Square public», serais-je tenté de dire, car le public doit pouvoir circuler comme il l’entend. «Galerie d’art» où l’on va donc présenter des œuvres avec des intentions et les renouveler, mais également convier à des spectacles . Au moment où je vous parle, il y a dans les espaces des personnes qui dansent le tango, certains piquent-niquent, d’autres lisent sur un banc, face à une œuvre d’Ilya et Emilia Kabakov.
Afin d’instaurer un nouveau rapport avec le public, nous avons modifié l’entrée et les axes de circulation du bâtiment. A partir de «la dalle du jardin» de l’entrée Curial, on en a une vision globale et on n’a plus ce sentiment d’être écrasé par l’architecture. Au contraire, dès l’arrivée, on l’appréhende à une échelle plus humaine parce que la dalle surplombe légèrement l’ensemble de la nef.

La programmation du Centquatre se veut ouverte à tous les champs artistiques (le théâtre, la musique, le cirque, la danse, les arts plastiques,…). Défendez-vous malgré tout une ligne artistique?
José-Manuel Gonçalvès. Je tiens compte de plusieurs contextes. D’abord, celui de la création contemporaine. Je dis souvent que je suis spécialiste de rien et curieux de tout. Même si, bien évidemment, j’ai une connaissance plus avancée dans certains domaines. Je veux avant tout tenir compte de ce qui se passe à un moment donné par rapport à des formes artistiques. Je ne recherche pas l’équilibre des genres. Le Centquatre offre toutes les possibilités et j’ai l’intention de les mettre en capilarité. Dans un même lieu, dans un même temps, il y aura la possibilité de passer d’un genre à un autre, ce qui se trouve plus rarement dans d’autres lieux culturels.
Ensuite, ce qui m’intéresse, c’est d’accompagner des personnalités. L’actualité du sujet traité par l’artiste et la forme de l’interrogation déterminent mes choix. Pierrick Sorin par exemple interroge le statut de l’artiste en prise avec son quotidien de manière burlesque. Cela m’a semblé pertinent au moment où le Centquatre cherche à trouver sa place dans ce quartier.

Le Centquatre est situé dans un quartier populaire, peu familier de l’art. Comment comptez-vous opérer son ancrage dans le territoire proche?
José-Manuel Gonçalvès. Nous sommes ici dans un quartier particulier, où les pratiques culturelles ne vont pas de soi. Comment faire pour que les gens du quartier viennent voir des œuvres de Pistoletto? Le public d’ici appréhende l’art de manière plus directe que le public habitué. Il faut expliquer le sens des œuvres en tout humilité et dire en quoi elles renvoient à l’existence de chacun. Du coup, l’art prend une importance qui n’est plus seulement formelle, mais qui vient interroger le quotidien. C’est une source d’inspiration très forte. Dans ce lieu, il y a un mode de relation avec le public tellement spécifique que je pense que cela va interroger les œuvres elles-mêmes.
Il me plait de penser que ce lieu va se distinguer autant par sa programmation que par les publics qui le fréquentent. Proposer un établissement de ce type dans ce quartier est un pari assez beau. L’utopie est là.
L’ancrage dans le territoire a commencé. Le lieu est déjà très fréquenté par le public du quartier. Pour le premier mois, on a accueilli plus de 80 000 personnes. La «Nuit Ouf» a rassemblé plus de 3 500 personnes de 21h à 5h du matin! Il y a eu à la fois une succession et un mélange des publics. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de nuits parisiennes où ce soit le cas.
Jamais on ne pourra fonder ce lieu définitivement. Dans sa majorité, le public local n’a pas ou peu de pratiques culturelles régulières, ce qui nous poussera sans cesse à nous réinterroger. On ne pourra pas se reposer sur sa fidélité. Elle va mettre très longtemps à s’installer. C’est à ce prix-là qu’on pourra remplir parfaitement notre mission et c’est l’une des questions qui me passionnent.

Si on se place du côté des artistes, de quoi ont-ils besoin aujourd’hui? Que souhaitez-vous leur offrir avec le Centquatre?
José-Manuel Gonçalvès. On offre trois choses avec le Centquatre. D’abord, un espace en plein Paris où les artistes peuvent travailler. Ensuite, une visibilité nationale et internationale pour leurs projets, ce qui n’était pas le cas auparavant. Enfin, une rencontre avec un public qu’ils ont moins souvent l’occasion de rencontrer dans nos établissements. Leurs œuvres vont interroger de manière singulière un public singulier.
Certains diront que cela ressemble un peu au Palais de Tokyo, un peu au Théâtre de la Ville, un peu au Confort Moderne, un peu à la Fonderie, un peu au Théâtre du Rond-Point, etc. Certainement, mais ici, on va essayer de rassembler ce qu’offre chacun de ces lieux spécialisés. Où est-il possible de montrer dans un même lieu une rétrospective et le spectacle de Pierrick Sorin? De se promener dans les œuvres de Michelangelo Pistoletto au cœur d’un quartier aussi populaire?
Dans les différents lieux où j’ai travaillé, j’ai toujours voulu associer des choses contradictoires pour créer des situations complexes et paradoxales. Cela m’oblige à accompagner l’imagination des artistes. Quand Pierrick Sorin a vu le Manège Carré Sénart de François Delarozière, il a voulu proposer ses théâtres optiques — qui sont à vrai dire le cœur de son exposition — à proximité du Manège.
Maguy Marin, qui est la plus exceptionnelle des chorégraphes, continue d’inventer des formes et de questionner la place de l’homme dans notre société. Ce lieu est complètement fait de ces questions, de constructions et de déconstructions.

Quelles seront les grandes lignes de la future programmation?
José-Manuel Gonçalvès. Avec le premier volet de la programmation, «Attraction», je voulais d’emblée brouiller les pistes. Pour moi, c’est un mouvement, «on sait quand ça commence, mais on sait pas où ça s’arrête». En février-mars, arrivent Maguy Marin, Bertrand Bossard, Présences Electronique,…
On va inviter de plus en plus d’artistes plasticiens. Notre axe principal sera la mise en expérience du public pour explorer les idées évoquées plus avant. Il y aura une installation de Lawrence Malstaf dans la grande nef. Je suis très intéressé par le travail de Shilpta Gupta. J’ai très envie de travailler avec Ann Veronica Janssens, dont je suis le travail depuis dix ans.
Le plus souvent, on sera dans cette idée: une œuvre égal un espace, comme pour The Fallen Angel d’Ilya et Emilia Kabakov présenté sous la grande verrière. L’importance donnée à l’artiste ne se fera pas uniquement par la multiplication des pièces mais plutôt par l’ampleur de l’espace qu’on lui consacre. C’est un peu inverser ce qu’on trouve (trop) fréquemment.
D’une certaine manière, le Centquatre était peut-être un peu en avance, il faut sûrement le recaler dans son époque. J’espère avec mon équipe contribuer à ce mouvement.

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