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Cellula Phantastica.

PCédric Le Borgne
@12 Jan 2008

De couche en couche et de recherche plastique en travail formel d’après clichés scientifiques, l’art d’Émilie Benoist cherche et progresse en spirale. Et le spectateur est happé par les sphères concentriques d’une œuvre qui réfléchit notre monde intérieur.

Après avoir longtemps interrogé d’autres parties du corps, depuis quelques années déjà, l’artiste interroge les neurones. L’anatomie la plus classique de notre organe de pensée, aussi bien que les dernières avancées scientifiques sur la matière sombre, viennent nourrir une recherche formelle qui cadre et s’encadre dans la voie royale de l’imagination. «Cellula phantastica» réunit deux sculptures et sept aquarelles en ce que l’artiste aime à appeler un doux mélange d’exactitude formelle et de rêve éveillé.

Formée à l’École des beaux-arts, spécialisée dans la taille de bois, et passionnée de revues scientifique, l’artiste créé en plusieurs dimensions. Son récent voyage en Inde et son séjour en pleine nature cet été ont réveillé en elle le désir de se confronter à la matière. Matière pauvre pour une première sculpture accrochée au mur sous plexiglas, où du bois, un peu de cuivre, des éponges, et beaucoup de fils évoquant les séductrices crinières des rousses séductrices, chères aux surréalistes, forment un «portrait» des synapses.
Les scientifiques les plus avertis verront qu’Émilie Benoist n’a pas oublié de figurer au fond les astrocytes, ces cellules ayant un rôle de contact entre les synapses et permettant la circulation des neurotransmetteurs.

La deuxième sculpture, qui est aussi l’impressionnante pièce centrale de l’exposition «Cellula phantastica», mélange un noble tronc de noisetier poli par l’artiste avec cette matière rêche, ingrate, non-biodégradable, et difficile à sculpter qu’est le polystyrène. Du côté de la tige, le bois blanc aux courbes et aux nœuds presque humains, et à l’écorce mouchetée de pores rappelant les mille et une vies de l’épiderme, ravira les amateurs d’Arte povera. Le tronc traverse la pièce, telle une colonne vertébrale de l’exposition et du corps.
Rompu par l’exercice, il est scindé en deux. C’est ainsi qu’Émilie Benoist nous représente la moelle épinière. Avec, au bout, comme difficilement porté par ce fragile fil, non pas une cellule nerveuse, mais un plan entier de polystyrène recouvert de billes vertes. Il s’agit d’une maquette de temples de Pondichéry ; vus d’en haut, ils font terriblement penser à ce qu’on appréhenderait si l’on effectuait une coupe à l’intérieur du crâne. L’inspiration surréaliste revient quand le spectateur se met à projeter le téton d’un sein, là où à l’origine, il n’y avait que la pointe mousseuse d’un temple…

Pour Émilie Benoist, les dessins sont de l’ordre de l’intime. Depuis neuf ans, quand elle dessine, elle s’impose un format, l’usage de la graphite et de l’aquarelle et expérimente un maximum de variations à l’intérieur de ce cadre.
Les sept aquarelles présentées à l’exposition «Cellula phantastica» évoquent à la fois les humeurs de l’artiste au moment où elle les a exécutées. En même temps, mises bout à bout, elle correspondent à plusieurs étapes de sa quête sur les formes. De gauche à droite, elle vont des plus concrètes chimères dessinées autour du thème du corps, à des cercle plus épurés et plus mystiques. Les trois premiers dessins montrent un cerveau éclaté.
Mais aussi d’autres parties du corps : d’abord le ventre d’une femme, avec anatomiquement ses organes de reproduction, et enfin, les stades d’évolution du fœtus. Pâles et construits en spirale, les dessins d’Émilie Benoist sont des paysages humains qui épinglent avec fragilité et subtilité ce lieu magique où l’intériorité prend corps. Les deux dessins suivants témoignent de l’influence de Pondichéry sur l’artiste puisqu’ils montrent des idoles hindouistes en transparence. Par ce jeu d’ambivalences et de symboles, ils font penser à la période la plus onirique du surréalisme de Francis Picabia.

Enfin, les deux derniers dessins sont noirs et blancs. Deux sphères dessinées, elles aussi, en spirales. Le premier est le plus épuré : en une boule noir au cœur blanc, Émilie Benoist a voulu donner forme à la sensation chaleur. Le deuxième reproduit fidèlement les mouvements d’un neurotransmetteur de mouche. Par delà la précision scientifique de la représentation, le dessin fait méditer, tel un Mandala indien.

Continuant dans sa voie désormais bien reconnaissable de précision des formes, de curiosité scientifique, et y ajoutant un flux toujours plus libre de rêverie, d’inconscient et d’ images qui la fascinent, Émilie Benoist arrive à abstraire ses recherches sur cerveau. Celle-ci est probablement une des questions les plus angoissantes, et qu’il ne faut pas laisser aux seuls neurologues, à l’époque où mourir ce n’est plus avoir le cœur qui s’arrête mais un encéphalogramme plat. Cela, comme le dit avec douceur mais fermeté l’artiste : «Ce n’est pas rien».

N’hésitez surtout pas à entrer dans le bureau de la galerie : d’anciennes œuvres d’Émilie Benoist y sont exposées, notamment issues de ses travaux en fils et en éponges de couleur à partir d’IRM de personnes malades de l’Alzheimer, ou en crise d’hallucination.

Yaël Hirsch, responsable de la rédaction de la newsletter www.en3mots.com.

Emilie Benoist
— Cellula phantastica, 2007. Vue de l’exposition.
— série Sous la surface, 2007. Aquarelle et graphite, 50 x 65 cm.
— série Sous la surface, 2007. Aquarelle et graphite, 50 x 65 cm.
— série Sous la surface, 2007. Aquarelle et graphite, 50 x 65 cm.
— série Sous la surface, 2007. Aquarelle et graphite, 50 x 65 cm.
— série Sous la surface, 2007. Aquarelle et graphite, 50 x 65 cm.
— série Sous la surface, 2007. Aquarelle et graphite, 50 x 65 cm.

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