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Ce qui arrive

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Mélange d’œuvres et de documents dans une mise en scène des accidents — catastrophes naturelles, accidents spectaculaires et attentats — arrivés au cours des cent dernières années. Mais le commissaire Paul Virilio peine à défendre sa remise en cause du Progrès, et à éviter le manifeste idéologique.

Comme souvent les expositions de la Fondation Cartier sont des manifestes pour défendre ou promouvoir une certaine idée de l’art contemporain. Ce nouvel opus ne fait pas exception à la règle, mais le discours défendu dépasse le simple cadre artistique pour déborder vers le politique. Plus qu’une démonstration, l’accrochage de « Ce qui arrive » veut tirer la sonnette d’alarme d’une planète qui va trop vite, et engendre de ce fait des catastrophes, des accidents à la taille du monde. Les conséquences sont à l’image de l’économie, elles sont globales et non plus locales.

Cette thèse est avancée par le commissaire de l’exposition Paul Virilio. Alerte, ce jeune homme de 70 ans, est un des rares penseurs français à s’être penché sur les nouvelles technologies depuis plus de dix ans. Philosophe et urbaniste, la ville est pour lui le terrain propice à toutes les rencontres actuelles. Ses prises de positions se trouvent dans ses livres, dans les colonnes des journaux; ses expositions (c’est ici la troisième) lui servent de tribune. Après la guerre et la vitesse, les accidents terminent sa trilogie sur les risques de la science. Méfiant et critique, il préfère préciser qu’il dénonce moins les excès de la science que l’enthousiasme aveugle qu’elle engendre.

Regarder la « Méduse du Progrès » est le pari que tente cette exposition. Elle y parvient par la richesse de ses documents et grâce à la participation croisée de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) et de l’AFP (Agence France Presse). Mêlant documents journalistiques et œuvres d’art, convoquant plasticiens et architectes, le résultat constitué est déroutant, voire décevant. Ces images de catastrophes naturelles, d’accidents aériens, ferroviaires et maritimes sont présents dans notre mémoire collective. Il est à regretter qu’elles ne permettent pas une plus grande mise à distance. Cette combinaison ne produit pas d’émulation mais provoque seulement une répétition. L’illustration et la redondance sont privilégiés au détriment d’un dialogue.

L’exposition permet néanmoins de pointer quelques traits devenus incontournables dans les grandes expositions contemporaines. Pour un spectateur novice « Ce qui arrive » est du point de vue muséographique un cas d’école.
Elle est une superproduction dont le commissaire est la vedette incontestée. Dans certaines d’entre-elles le « curator » devient artiste, l’exposition devient une œuvre artistique à part entière. Ici ce n’est pas le cas, il n’y a pas la volonté déclarée de faire art, mais de porter une réflexion.
Deuxièmement, le mélange des œuvres présentées, ainsi que le mélange qui s’ensuit entre le sans art et l’art, permet d’interroger le statut, le rôle et la fonction de l’art d’aujourd’hui. Lieu de toutes les interrogations, l’exposition est un vrai enjeu autant didactique que réflexif, elle prend pour cela le risque de n’être plus uniquement artistique.
En privilégiant l’approche documentaire, ou en tout cas en lui faisant jouer un rôle d’égal importance à celui des œuvres d’art, Virilio argumente plus qu’il ne choisit. Il recense les accidents. L’exposition se résume dès lors à une énonciation-dénonciation de drames passés et présents. Le tout est favorisé par notre sensibilisation accrue à tout accident, attentat contre nos villes ou nos plages. La toile de fond de cet ensemble panoramique est l’attentat du World Trade Center. Voulant renouer avec le Tragique de Nietzsche, Virilio tisse davantage une dramaturgie de l’apocalypse.

Même si les intentions sont de dévoiler « la face cachée de la science » et de mettre en garde contre ce « Progrès qui engendre des accidents potentiellement globaux », il semble que l’exposition nous place face à une lecture médiatique du monde. La place privilégiée qu’occupe l’attentat du 11 septembre dans notre mémoire et dans l’exposition, est avant tout « écranique » et symbolique. Comparée à la destruction de la Tour de Babel (un dessin à l’entrée), les « Twins Towers » sont télévisuelles avant d’être accidentelles.
Il y a un an, on se demandait si tout cela était réel. Le cinéma d’anticipation nous avait déjà abreuvé d’images similaires. D’ailleurs l’attaque, le même jour, du Pentagone n’est pas montrée, car elle est beaucoup moins spectaculaire. Ces deux bâtiments sont pourtant d’égale importance, ils représentent les plus grands pouvoirs militaires et financiers du monde. Architecturalement l’un est le plus important bâtiment du monde, l’autre fait partie des plus hauts. Mais leur traitement et leur impact diffèrent : l’un est spectaculaire, l’autre est banal.

Plus que d’accidents, il faut ici parler de paroxysme. La lecture des images porte moins sur une chute du monde développé, que sur des instants, des « événements » sublimes (au sens philosophique : qui nous dépassent). Le basculement icarien est ici stigmatisé que ce soit dans la destruction des barres HLM, ou que ce soit dans l’embrasement du dirigeable Hinderburg en 1937.
Les artistes présentés ont à voir avec l’idée de la disparition, de l’effacement. Cai Guo-Qiang artiste du feu et de la pyrotechnie caractérise bien cette tendance issue des années soixante-dix, qui n’a pas peur de dématérialiser l’œuvre d’art. La chute occupe la moitié du rez-de-chaussée. C’est une forêt de tiges d’aluminium (au total 900) de plusieurs mètres de haut dans laquelle il est agréable de se promener. Lebbeus Woods est architecte, et la pièce qu’il présente est proche de cette architecture de la déconstruction (Architecture déconstructiviste de Philip Johnson au MoMa en 1988) sensible à la philosophie de Derrida. Ces immeubles, qui donnent l’impression de s’effondrer, évoquent de façon prémonitoire les clichés du tremblement de terre de Kobe (Japon) en 1995.

La vitesse du monde provoque des accidents plus importants que par le passé. L’importance de la main technologique de l’homme est stigmatisé, mais que dire, que faire face aux risques naturels que sont les irruptions volcaniques, les tremblements de terre, les typhons, les cyclones ? La vitesse du monde est-elle à mettre en cause ou faut-il interroger les images et notre société de la communication ? Que dirait le Candide de Voltaire en débarquant dans un paysage dévasté actuel, son effroi serait-il inchangé ?

Commissaire d’exposition : Paul Virilio (né en 1932 à Paris) est professeur d’architecture, urbaniste et philosophe. Il alterne essais et expositions. Il est l’un des rares penseurs en France à réflécchir sur les nouvelles technologies. Après une exposition sur la guerre, sur la vitesse (1991), celle sur les accidents (« Ce qui arrive », 2002), clos sa réflexion sur la « Méduse du Progrès ».

Dominic Angerame
— In the Course of Human Events, 1997. Film 16 mm, noir et blanc, 23,50’. Création sonore : Amy Leigh Hunter.

Jem Cohen
— Little Flags, 2000. Film super 8, 6’. Musique : Fugazi (bande-son mixée par Jem Cohen et David Frankel).

Bruce Conner
— A MOVIE, 1958. Film 16 mm noir et blanc, 12’. Musique : Pini di Roma, Ottorino Respighi.

Peter Hutton
— Boston Fire, 1978. Film muet 16 mm noir et blanc, 8’.

Cai Guo-Qiang
— Tonight So Lovely, 2001-2002. Deux vidéos des feux d’artifices pour la Coopération Économique Asie Pacifique : direct diffusé par Oriental Television (environ 19’) et version de l’artiste (environ 20’).

Jonas Mekas
— Ein Märchen aus alten Zeiten, 2001. Vidéo, 6’. Musique : Jonas Mekas.

Aernout Mik
— Middlemen, 2001. Installation vidéo, 21’ en boucle. Caméra : Benito Strangio. Assistante réalisation : Marjoleine Boonstra.

Tony Oursler
— Nine-Eleven, 2001. Mini vidéo numérique, env. 53’.

Artavazd A. Pelechian
— Notre Siècle, 1990. Film (version courte), 35 mm, 30’.

Nancy Rubins
— MoMA & Airplane Parts, 1995. Sculpture.

Wolfgang Staehle
— Sans titre, 2001. Enregistrement en temps réel du panorama Sud de Manhattan, diffusé en direct sur Internet pendant toute la durée du mois de septembre 2001 et témoin involontaire des événements du 11 septembre. Durée : 24 h.

Moira Tierney
— American Dreams #3, 2001. Film 16 mm, 5’. Musique : Charlemagne Palestine. Captures d’écran : Arunas Kulikauskas.

Stephen Vitiello
— Listening to Judd, 2002. Microphones captant les vibrations sonores à travers les sculptures de Donald Judd. Enregistrement non autorisé, Chinati, Marfa, Texas.

Lebbeus Woods
— La Chute, 2002. Sculpture. Avec la collaboration d’Alexis Rochas.

Extraits de journaux télévisés et de reportages :

— 28 mars 1979, Three Mile Island, Pennsylvanie, États-Unis. Accident nucléaire suivi de fuites radioactives. Vidéo.
— 28 janvier 1986, Kennedy Space Center, Floride, États-Unis. Début d’explosion du booster de la navette spatiale américaine Challenger. Vidéo.
— 1er octobre 1986, Tchernobyl, Ukraine. Travaux de réparation sur le site de la centrale nucléaire de Tchernobyl après l’explosion d’un réacteur le 26 avril 1986. Vidéo.
— 11 octobre 1994, Venissieux, Rhône, France. Destruction par implosion de 6 tours HLM. Vidéo.
— 24 janvier 1995, Kobe, Japon. Effondrement de la chaussée après le violent tremblement de terre du 17 janvier 1995. Vidéo.
— 19 novembre 1997, New York, États-Unis. Reconstitution du Boeing 747 de la TWA, victime d’un crash inexpliqué le 17 juillet 1996. Vidéo.
— 7 décembre 1997, Irkoutsk, Sibérie, Confédération de Russie. Crash d’un avion de transport militaire. Vidéo.
— 3 juin 1998, Eschede, Allemagne. Déraillement du train à grande vitesse allemand ICE. Vidéo.
— 21 septembre 1999, Wufeng, Taiwan. Effondrement d’un immeuble résidentiel après le plus important tremblement de terre du siècle à Taiwan. Vidéo.
— 13 décembre 1999, Brest, France. Naufrage du pétrolier maltais Erika. Vidéo.
— Aralsk, Kazakhstan. Surexploitation hydraulique agricole. Vidéo.

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