PHOTO | CRITIQUE

Ce que fait l’estafette

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

Darek Foks et Zbigniew Libera, à travers l’association de textes et d’images, confrontent l’Histoire de leur pays aux icônes populaires internationales, qui éveilla leur sensualité dans les années soixante.

L’œuvre Ce que fait l’estafette est composée, d’une part, de textes de Darek Foks évoquant des situations où sont mis en scène «les petits gars» et «l’estafette» et, d’autre part, de photomontages réalisés par Zbigniew Libera. L’estafette fait ici référence au nom que les Polonais donnaient aux agents de liaison de la résistance nationale pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ces combattants passés dans la clandestinité étaient bien souvent des femmes qui risquaient leur vie pour livrer des informations décisives pour lutter contre l’occupant nazi. La figure de l’estafette est donc associée, en Pologne, à des jeunes femmes hors du commun qui permirent le soulèvement de Varsovie en 1944. Par la suite, elles ont fait l’objet, au travers de nombreux récits, d’un culte dédié à l’héroïsme, au courage et au don de soi.

Zbigniew Libera et Darek Foks basent leur travail commun sur l’image de ces femmes devenues des sortes de repères ou de modèles pour les générations d’après-guerre nées dans une société encore marquée par les dégâts matériels et psychologiques du conflit. A ces figures de l’Histoire polonaise, les images de Zbigniew Libera associent d’autres icônes, plus érotiques que guerrières : les actrices de cinéma des années soixante. Le spectateur y retrouve toutes celles qui ont fait rêver les adolescents et les hommes de cette époque : les ensorcelantes italiennes Sophia Loren et Monica Vitti, la beauté froide d’Anita Ekberg, la candeur et le charme de Jean Seberg…

Si, parmi les clichés glanés par Zbigniew Libera, ces femmes sont représentées tel qu’on se les imagine généralement, dans toute leur féminité, chargées de sensualité, propices aux fantasmes masculins, elles paraissent toutefois, dans certains cas, interrogatives, inquiètes ou mélancoliques. A partir de ces images d’actrices, Zbigniew Libera crée des photomontages, qui propulsent les stars du cinéma dans un nouveau décor, cette fois bien réel, historique, celui de villes détruites ou de paysages éventrés par la guerre. La collecte d’images qu’effectue l’artiste pour obtenir ses photomontages donne donc naissance à des documents paradoxaux et anachroniques, qui associent les héroïnes polonaises de la Seconde Guerre Mondiale à des femmes fétiches, rêvées et inaccessibles. Mais au-delà de cette transfiguration, les photographies présentées à l’Institut polonais interrogent certains des fondements psychologiques d’une génération à laquelle appartiennent Zbigniew Libera et Darek Foks.

Dans l’œuvre des deux artistes polonais, dans laquelle l’image n’est nullement une illustration du texte, mais, bien au contraire, la possibilité d’une dialectique entre les médiums, l’idée de l’estafette concentre à la fois la mémoire tragique d’une nation et la découverte de la sensualité, l’Histoire et l’expérience personnelle, et devient le signifié de l’apprentissage d’un jeune homme, avec ses mythes, ses angoisses, ses aspirations et ses désirs.

Zbigniew Libera & Darek Foks
— Ce que fait l’estafette, 2005. Textes et photomontages.

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