ART | INTERVIEW

Catherine Noury

PMarie Marques
@05 Sep 2008

Catherine Noury a l’art de tisser le temps qui passe et sa douce mélancolie. Délicatement épinglées dans des boites à papillon, ses robes d’hiver et de dimanche racontent des histoires où féminité et poésie s’épousent dans la fugacité de l’instant.

Marie Marques. Vous avez apporté un livre ? Comme c’est gentil à vous…
Catherine Noury. C’est un petit manuel intitulé « L’atelier de réparations » qui est comme toutes mes robes, fabriqué maison et bien sûr, à prendre au second degré. Il s’adresse aux couturières en herbe dont je suis. J’y donne des conseils pratiques tels que : « Imaginer que tous les défauts de l’ouvrage sont un choix », avec en vis-à-vis, les photographies de mes robes miniatures. Les photos permettent de voir l’ouvrage en transparence, de montrer les coutures, le ventre en cocon, les plissés brodés, et surtout les imperfections qui seraient à corriger. Les marque-pages sont des échantillons d’étoffes. Il y a de la tarlatane, de l’organdi, du gros coton…

La matière exploitée dans vos collections de « haute couture-miniature » est magnifique. Où vous la procurez-vous ?
Catherine Noury. Elle provient parfois de mes anciens habits qui ainsi, retrouvent une seconde vie. Je dépiaute depuis au moins quatre ans un vieux cardigan rose. Je l’épluche, fabrique des guirlandes avec ses peluches… J’utilise aussi du papier japonais que je plisse, froisse, déchire, brode,  ou bien encore de la filasse de plombier, que j’intègre sous forme de « boulettes-cocons » à l’intérieur des robes… Je peux broder durant des heures, et aussi coudre pendant des jours et des jours. J’aime étirer le temps, mais la partie de la robe qui en aura nécessité le plus, ne sera pas forcément apparente. Il m’est déjà arrivé de broder des ornementations, puis tout à coup, de retourner le tissu pour au bout du compte, les dissimuler. C’est invisible, mais c’est là…

Vous exposez vos créations dans des boîtes à papillon. Serait-ce d’aventure, pour nous épingler ?
Catherine Noury. (Rires) Les boîtes à papillon étaient parfaites pour présenter les robes par collections. Il y a « Les Electrons libres », « La Semaine d’hiver » ou « Voulez-vous danser avec moi ? ». Chaque collection comporte sept robes : une pour le lundi, une autre pour le mardi et ainsi de suite jusqu’au dimanche. Je ne voudrais pas plagier Stefan Zweig, mais ces sept robes représentent « une semaine de la vie d’une femme « .

Que vous apporte aujourd’hui la couture, que ne vous procurait pas la création photographique ?

Catherine Noury. Le rapport au présent : une fois le déclencheur de l’appareil actionné, l’image captée entre dans le passé. Dans la couture, chaque étape est un nouveau point de départ. Le présent est permanent. C’est très jubilatoire.

Votre dernier travail photographique a-t-il été un passage vers la couture ?
Catherine Noury. Peut-être. Dans « Des Nouvelles du monde », mes images proposaient une sorte de relecture de la presse magazine. J’avais pour cela, prélevé au cutter des fragments de la taille d’une diapositive dans les revues, puis les avais passés à l’agrandisseur afin de déployer en grand format une série de portraits et de paysages. Il est vrai que dans ces images de 1,80 m sur 1,20 m, le recto, le verso et la trame du papier, apparaissent et se confondent. C’était déjà une prise en compte de l’épaisseur de la matière.

Vous usiez donc des mêmes procédés : la récupération, le recyclage de chutes, l’effet de transparence en recto verso, jadis avec les papiers magazine, maintenant avec les étoffes…
Catherine Noury. J’ai toujours, je crois, exploré le dédoublement des objets et des êtres. Il y a peut-être chez moi, une espèce d’obsession de la dualité. De fil en aiguille, je suis passée de la silhouette photographique à la silhouette cousue ; à une approche du corps un peu plus charnelle. Dans ce dernier travail que je présente chez Sit Down, il y a une dimension supplémentaire : le volume. Les choses et leur envers sont donnés à voir dans une forme plus sculpturale. Il me semble que j’explore aussi à travers ce travail, quelque chose qui appartient à l’histoire des femmes et à celle de leur féminité. Longtemps, pour la majorité d’entre elles, le moment de la broderie était l’unique espace de liberté donné. Pendant qu’elles brodaient, elles n’avaient aucun compte à rendre sur leur occupation mentale.

S’adonner à l’art de la couture ou à celui de la broderie, est-ce selon vous, faire le choix du silence ?
Catherine Noury. Après quelques années de journalisme pour la presse écrite, j’ai préféré le silence. Les mots ne me paraissaient jamais assez justes. Alors, j’ai fait de la photographie. Être dans le silence me convient bien. En disant, on trahit la véritable nature des choses, leur force d’évocation. Les robes miniatures que je crée, même si elles sont peu de chose, ont je crois, une force d’évocation. Elles ne cherchent pas à convaincre, ni ne militent pour aucune cause ; elles suggèrent. Elles seraient, aux dires d’une amie,  des infusions de poésie dans le réel. Le mot « infusion » me plait beaucoup car il évoque l’infime, la fugacité, comme un parfum qui passe.

Bien que délibérément discrètes, vos œuvres sont moins évanescentes et silencieuses que vous voudriez bien nous le faire croire…

Catherine Noury. Il est vrai que mes robes portent des noms et qu’elles ont chacune, une identité : La Souillon des plaines est un hommage aux petites Cendrillon courant pieds nus à travers champs, La Poussée de sève qui appartient à la série de La Semaine d’hiver évoque l’inattendu dans la frilosité saisonnière. Le nom de la robe, tout autant que sa forme, raconte une histoire. Je crée des collections de petites pensées…

Comment les concevez-vous  ?

Catherine Noury. Ma démarche se situe entre celle de la couturière et celle du sculpteur : je cherche par exemple, à savoir comment fonctionne un buste, ou bien une manche… Je fais des petits patrons en papier ou en carton, et à partir de là, la forme de la robe se déploie d’elle-même. Je rajoute, je coupe, je déchire, je raccommode, et à un moment donné… c’est fini. Les dessins préparatoires que je conçois en parallèle, relatent des univers plus ou moins liés aux robes. Le vêtement est une contrainte pour le corps. Si la robe est cintrée dans le dos : on respire moins bien dedans. Le vêtement conditionne l’attitude. Ces dessins, faussement préparatoires, esquissent en fait, des silhouettes contraintes par un petit handicap et dont on observe le mouvement. Sur l’un d’eux, le chapeau est conçu comme un sac, ce qui oblige la silhouette à se faire guider par quelqu’un… Je mets le personnage dans une situation qui l’oblige à se dépatouiller de cette difficulté.

L’exposition comporte aussi quelques tirages photographiques. Vous n’avez donc pas totalement abandonné vos premières amours.

La photo me permet de montrer une nouvelle fois l’envers des choses, de révéler le dos des robes avec leurs points d’attache sur le carton. Le résultat ressemble à un tableau abstrait un peu à l’image des tableaux en fil. Je photographie aussi la robe de face, pour l’agrandir ensuite à taille humaine, comme si c’était un vêtement prêt à porter. Chez Sit Down, on peut voir quelques grandes silhouettes blanches tirées de la semaine « Les Robes d’anonymat ».

Pour présenter « L’Eternelle fiancée », qui regroupe donc les robes dans les boites à papillon, leur portrait photographique recto verso, les dessins préparatoires et quelques patrons, vous avez répertorié une série d’expression liées à la couture et aux étoffes. Parmi celles recensées, quelles seraient les plus « Noury » ?
« Tenir à un fil », j’aime bien ça. « À pas de velours » aussi. « Donner du fil à retordre », j’aime vraiment beaucoup. « L’étoffe des songes » est tiré d’une phrase de La Tempête de Shakespeare : « Nous sommes de l’étoffe dont nos songes sont faits. ». Voilà, c’est tout.

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