ART | CRITIQUE

Casanova forever. Shifting Shapes

PChristian Pantzer
@21 Juil 2010

Simone Decker étale des grandes surfaces plates et colorées (rouge, jaune et bleu) sur le sol du Carré Sainte-Anne de Montpellier et modifie ainsi l'atmosphère du lieu en lui donnant des allures de champ de colza ou de piste de course.

Flying Minimalism

Jaune et long et posé !
À cet endroit, là-bas, sur la rive, s’étend pour un temps quelque chose de jaune.
Jeunes et vieux s’activent ou bien sont tout simplement là. D’autres observent ce qui se passe, car à quelques rues de là, les enfants n’ont cessé de tourner en rond sur un cadre bleu clair.
Dans le reflet jaune de la surface, on parle aussi de ces longues et étroites bandes vertes qui, depuis hier seulement, s’étendent sur une place toute proche.
Et de la surface rouge percée de trous (ceux qui proviennent apparemment des piliers de l’église). Là, on s’est essayé à jouer dessus à la pétanque.
On dit que ces surfaces sont de plus en plus nombreuses et qu’elles doivent toutes provenir de l’église Sainte-Anne. C’est là qu’elles prennent naissance et demeurent au sol quelque temps. Puis après déshabillage, elles atterrissent ailleurs. Là quelque chose se multiplie. L’espace du bâtiment de l’église génère la forme. Comme un bon terroir un vin?

«Yellow, and black, and…»
«And, eh…»
«Yellow, and black, and rectangular.»
«Eh rectangular,yes. And eh, eh what else?»
«Well, yellow, and black, and rectangular.»
«Eh rectangular, yes.What else?»
«Well, doctor, it has kind of black, and yellow, and black, and…»
«Eh rectangular, yes.»
«It has kind of shapes inside.»
«Yellow, black, and shapes inside.»
«Oh, I see them everywhere…»

Quand de simples signes partent en voyage, comme ici dans cet extrait d’une chanson du groupe Negativeland, ils semblent être toujours chargés d’un sens particulier. Ici, c’est le signe de la radioactivité. Beaucoup de choses n’acquièrent une valeur de signe que par hyperbole. Comme par exemple, des chaussettes blanches, s’il s’agit de celles de Michael Jackson. Ou bien le point rouge sur le front des femmes hindoues ? Le jeu de marelle que les enfants dessinent dans la rue avec une craie de couleur. Ça commence tout simplement et directement. La complexité arrive ensuite.

La surface carrée, neutre de Picknick (2008), surgissait de la boîte. Activée par l’appareil photo, elle réfléchissait sa blancheur et effaçait une partie du sol. Les personnages s’y transformaient en silhouettes flottantes. Le signe n’apparaissait dans sa totalité que sur la photo.

Dans beaucoup de ses projets, l’artiste ajoute des mises à distance. D’un point de départ vers un nouveau lieu. Et là aussi, «cela» n’est souvent que fugace. Les Ghosts (2004) ont fusionné un court instant avec leur modèle original. Ensuite, ils sont partis en voyage. Ils sont devenus, dans l’obscurité, des signes vagues et fantomatiques.

Le projet Distributeur (2003) n’a pris forme que lorsque les visiteurs s’emparaient du matériau. Ils allaient ensuite dans le parc alentour pour y disperser des installations éphémères. Elles ont pendant un moment changé l’environnement. L’atmosphère était chargée de sens par l’intervention de l’imagination des gens.

Ce caractère furtif fait penser à l’insaisissable chez Casanova. Au sens propre du terme, on ne pouvait pas le fixer. Dans ses Mémoires n’apparaissent que très peu de descriptions de lieux. Ce sont les gens qu’il admire qui sont ses lieux. Il les a d’abord transformés puis ensuite à nouveau délaissés. Dans l’église Sainte-Anne: le cadre bleu nous évoque la piste de course d’un stade. On tourne en rond autour de ce qui est à l’intérieur et au centre.

Le sol rouge modifie l’atmosphère, y a-t-il une remise d’Oscar dans les parages? La grande surface, jaune comme les champs de colza des paysans. Des formes différentes se succèdent dans l’espace et le transforment. Ces pièces elles-mêmes se transforment à nouveau quand elles se posent dehors dans la ville. Et là, encore une fois, elles vont avoir un effet sur l’environnement. Même une bière, si l’on y ajoute une goutte de curaçao bleu, devient une boisson exotique. Mais comment était-ce vraiment à Sainte-Anne? Il y avait quelque chose de différent dans l’air. Quelque chose de volatil. Il est déjà étrange de dire: «se tenir dans l’air».

Ou alors est-ce que ça ne se tenait que dans notre imagination? Beaucoup de gens présents avaient changé d’expression. Ou bien simplement la représentation du possible les avait-elle influencés? Les pensées ne se laissent pas repérer par le GPS.

Texte paru dans le catalogue de l’exposition «Casanova forever» (Commissaire: Emmanuel Latreille, directeur du Frac Languedoc-Roussillon).
Emmanuel Latreille et Jean-Claude Hanc (dir.), Casanova forever, Éditions Dilecta (Paris) et Frac Languedoc-Roussillon (Montpellier), juin 2010, 328 p.

 

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