ART | CRITIQUE

Casanova forever. Amour à la machine

PAnne Lehut
@30 Juil 2010

La participation de Cécile Hesse et Gaël Romier à «Casanova forever» apparaît comme une évidence. Avec Casanova, qui joue avec l'argent mais surtout avec les femmes, il est question de sexualité mais aussi d'amour, de générosité et de liberté.

A Nîmes, Cécile Hesse et Gaël Romier participent à une exposition collective, «L’amour à la machine», qui aborde la relation amoureuse à travers les objets du quotidien. Ils présentent deux photographies qui sont, comme souvent chez eux, de très grand format, et des «épluchures de chaussures»…

L’esthétique des images est lisse, léchée. La mise en scène est rigoureuse. Les deux photographies sont comme des fragments de narration. Elles nous parlent parce qu’elles sont quotidiennes, mais aussi totalement en décalage. Avec quoi? Justement, on se le demande. Avec nos codes, très certainement, en partie.

Dans L’Éplucheuse, issue de la série «Pour le meilleur et pour le pire» (2008), une femme se tient debout, derrière une table. Le cadrage dissimule son visage. Elle se détache sur un papier peint pastel qui évoque les années 60-70. Jusqu’ici, terrain connu, familier. Mais voilà, la femme découpe des chaussures, des chaussures à talons, attribut féminin par excellence, fétiche pour certains. Elle entame juste l’arrière de la chaussure, au-dessus de l’endroit où débute le talon aiguille.
C’est évidemment incongru, mais ce qui interpelle, c’est pourtant la familiarité de cette action évoquant une femme qui épluche des oignons. Rien ne se laisse pourtant situer: la combinaison couleur chair portée par la femme, qui souligne la poitrine, contraste avec ce geste de cuisine. Le titre de la série «Pour le meilleur et pour le pire» fait évidemment référence au mariage, et à tout ce qu’il peut entraîner comme codifications, habitudes.

Rapidement tout s’emballe: de cette image presque anodine, presque normale, naissent d’autres images, beaucoup plus équivoques, et les épluchures de chaussures renforcent cela: ce sont en fait les morceaux de cuir découpés, bien réels, fixés à même le mur, comme sortis directement de la photographie.
On a beau se demander pourquoi, on ne voit que ça: ces découpes, ce sont des sexes féminins, des vulves meurtries par cette couture qui passe au milieu. Femme qui dit adieu à sa virginité? Façon de montrer à quel point la chaussure est avant tout un accessoire érotique? Aucune lecture unique, mais l’image est puissamment évocatrice et c’est là sa force: irruption de la sexualité dans le quotidien, érotisme intense mais subtil.

Avec Toujours impeccable, une femme nue se tient de face, prise dans les phares d’un véhicule qui arrive derrière elle; pour la mettre en lumière? Pour la prendre au piège? Son visage est presque absent, là encore. Elle tient une pile d’assiettes qui cache son corps nu. Entre chaque assiette, des sous-vêtements couleur chair se laissent deviner. L’objet prend la place du corps mais il se charge de toute la sensualité de ce corps qu’il cache.

On retrouve cette pile d’assiettes dans une seconde exposition, «Le goût de la souillon», à Mende, où Cécile Hesse et Gaël Romier exposent seuls. Elle est présentée sur un fond blanc. Là encore, le familier (on pense au premier coup d’Å“il à des crêpes) se heurte à la luxure.

D’un triptyque extrait de la série «Duchesse Vanille», intitulé Insomnie, cotillons (2008), impossible de dégager une narration. Dans une esthétique toujours très maîtrisée, un serveur porte une soupière rocaille d’où s’échappent des plumes; une grande bâtisse se dresse frontalement; des phares percent l’obscurité. On pense à un banquet, et sans que l’on sache très bien pourquoi, on imagine ce banquet orgiaque, on pense à Kubrick et à son Eyes Wide Shut, sauf qu’ici rien n’est montré, et c’est pourquoi l’érotisme de Cécile Hesse et de Gaël Romier est puissant.

Dans Je te tiens, une femme (sans visage, toujours) que l’on voit à travers une portière de voiture a baissé sa culotte et c’est un jaune d’Å“uf qui macule le sous-vêtement. Absurde accouchement. Devant la photographie sont placés des fauteuils de voiture et un capot qui fait office de table et sur lequel on trouve des coquilles d’Å“ufs. Comme avec les épluchures de chaussures, la photographie s’incarne dans des objets qui rappellent une action réelle et met le spectateur face à du concret, l’obligeant à se situer et à trouver une place à ces images teintées d’étrangeté.

Emmanuel Latreille, commissaire général de «Casanova forever», souhaitait que soit exclue de cette manifestation la vulgarité, sans que l’on s’interdise d’aborder «la dimension du corps et du plaisir sexuel». Mission réussie!

Cécile Hesse et Gaël Romier
Nîmes, au PPCM et en collaboration avec la galerie ESCA
«L’amour à la machine»
— Cécile Hesse et Gaël Romier, L’Éplucheuse. Pour le meilleur et pour le pire, 2008. Photo couleur. 100 x 140 cm.
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Épluchures de chaussures. Pour le meilleur et pour le pire, 2008. Chaussures découpées. Dimensions variables.
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Toujours impeccable. Duchesse Vanille, 2008. Photo couleur. 124 x 110 cm.

Mende, Maison consulaire
«Le goût de la souillon»
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Le Goût de la souillon, 2010. Photo couleur. 80 x 120 cm.
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Je te tiens, 2010. Photo couleur. 105 x 143 cm.
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Le Rôti. Picnic à l’éther, 2010. Photo couleur.
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Duchesse Vanille, 2008. Photo couleur. 410 x 290 cm.
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Insomnie, cotillons. Duchesse Vanille, 2008. Triptyque photographique. 290 x 325 x 3 cm.
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Boire l’eau du bain. Le Goût de la souillon, 2010. Photo couleur. 330 x 290 cm.
— Cécile Hesse et Gaël Romier, Les Soupeuses. Duchesse Vanille, 2008. Photo couleur. 105 x 124 cm.

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