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Carpets Stories…

PMarine Drouin
@02 Fév 2009

La famille de la Tools est convoquée à pas feutrés pour redonner ses lettres de noblesse à nos carpettes. Cette exposition à la commande simple comme un salon, fait fi du défaut de surface au 119 : elle a d’abord montré les sept créations non loin de là mais à l’aise, et les fera vivre durant toute l’exposition à la galerie, à travers la vidéo fantasmagorique de Cyril Donpar.  

Heureux les élus ayant visité l’espace Froissart, où les tapis réalisés ont cohabité le temps d’une journée de vernissage. Trois pièces et un étage à la faveur d’un parcours domestique : on découvre au seuil de chaque porte l’association intime du tapis avec un objet emblématique de son créateur.
 
Hors d’atteinte des pas des visiteurs, ils sont surélevés de sorte qu’ils « décollent » du sol d’exposition. Cette lévitation leur donne l’allure de véritables territoires, plus que de carrés de moquette chargés d’étouffer le bruit des talonnettes. Au contraire, les Radi designers occupent une pièce en proie à la résonance acoustique qui fait exister leur installation : Vu réagit au son des pas et au degré d’agitation des voix. Nos humeurs provoquent à sa surface la progression de petits LED, intégrés à la fibre et s’allumant à l’origine d’un point dont part le tapis, en forme de feuille. Cette expansion dissymétrique associe la rigueur de courbes de niveaux en camaïeu de bleus à la vie organique d’un petit être interactif.

Ces tapis ne sont donc pas nécessairement rectangulaires. A l’instar de l’onde textile des Radi designers, les pièces d’Asylum Collection et de Raphaël Galley empruntent des formes indéterminées, à plat ou en volume. La première, Equus, est un objet hybride et sans âge : un pelage de poulain perforé de fleurs de lys. L’emblème forme un motif suranné dont la découpe au laser donne à l’ensemble une facture contemporaine. Irrégulière mais élégamment ciselée, la peau de bête à la crinière dorée est, au choix, rongée ou dentelée, usée ou travaillée. Reste qu’elle ne cache pas le sol, mais vient le dénuder pour le plaisir du dialogue sensible entre deux textures (ici le béton et la chaleur animale).
Quant au prototype de Raphaël Galley, il est composé de balles relaxantes articulées de sorte qu’on puisse en modeler la forme selon celle de l’usager, en créant un relief. Il cherche donc un contact plus étendu qu’avec notre seule voûte plantaire, en télescopant les échelles du corps, de souvenirs topographiques et de leur représentation façon IGN.

Les designers de la Tools ont aimé désorienter nos positions domestiques en faisant du tapis le territoire élargi de notre être-au-monde, qu’il soit géographique ou intime, onirique ou urbain.
Le Knitware de Kiki Van Eijk compile les dimensions du tricot et de la ville en numérisant les torsades du pull-over nordique. Le motif devient un Tétris géant qui nous plonge au coeur d’un cadastre urbain nocturne. Deux trames différentes forment les sillons et recoins d’une contrée méconnue.

Au sol, le tapis est l’occasion de nous faire perdre pied, et de tisser au quotidien les fabulations qui nous animent. Quoique rectangulaires, ceux de José Lévy et Frédéric Ruyant n’en sont pas moins déroutants. Le Baron Carpet se change en porte : sa laine sculptée mime les cadres et moulures haussmanniens, soulignés de liserés phosphorescents. Un rêve éveillé qui transforme vos pénates en un lieu irréel.
Quant à Frédéric Ruyant, il loge sous son tapis une boîte formant une assise. Secrète ou mortuaire, elle cache le fantôme du créateur, pouvant encore habiter le rêve de devenir marin plutôt que designer. L’entrelacs irisé des laines, soies et velours, forme sur le tapis le filet qui garde ce désir d’eau intact.
Enfin, en fenêtre ouverte sur les profondeurs, la création de Christian Lacroix rend hommage à la chimère souterraine dont il dessine la figure à l’obsession. Drag-In-Drag-On est le dragon fumant qui protège sa demeure : monstre d’intelligence nonchalamment étalé, il envahit de sa texture désordonnée le classicisme du style Aubusson dont il ne reste qu’un coin.

Semblable à cette créature assoupie et non moins attentive, chacun des tapis est le gardien d’un trésor. Comme le souligne la vidéo qui les raconte, ils font du sol oublié le terreau domestique de nos fantasmes, du burlesque au quotidien à nos désirs de conquête et d’étrangeté, sur le rythme saccadé d’un métier à tisser.
 

Radi Designers
— Vu, 2009. Tapis interactif et lumineux ou tapis sans animation (2 versions). 100 % laine, Led et composants électroniques. 120 x 200 cm
Asylum collection
— Equus, 2009. Tapis en poulain, doublé et découpes fleur de lys réalisées au laser. Variables.
José Lévy
— Tapis d’Haussmann (ou Baron Carpet), 2009. Tapis-porte ou boiserie haussmannienne. Tapis tufté main 100% laine sculptée. 220 x 90 cm
 Frederic Ruyant
— Jack in the Sea, 2009. Tapis-banc. Un bloc vient se glisser sous un tapis pour former une assise. Tapis qualité « point d’Asie », tufté main en laine (70%) et soie (30%) velours bouclé, bloc aluminium anodisé. 108 x 185 x 40 cm
Raphaël Galley
— Tapis prototype, 2009. Tapis en bâche, anneaux de rideaux et balles relaxantes (4 versions différentes). 160 x 200 cm

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