ART | CRITIQUE

Carcasses

PLéa Bismuth
@11 Mar 2008

Après Rembrandt, Soutine et Francis Bacon, c’est à Philippe Cognée de peindre le bœuf écorché, la bête ensanglantée suspendue à un crochet. Images de souffrance, de douleur et d’impuissance à n’être rien d’autre que de la viande…

Cette exposition est une installation de peintures composée de 36 petites toiles de même format disposées verticalement sur trois murs blancs, offrant au visiteur une vision à 360°, une vision kaléidoscopique.
En se plaçant au centre de la pièce, on peut embrasser d’un seul coup d’œil circulaire l’ensemble de l’œuvre. C’est alors que, à la manière des premiers dessins animés, la vitesse de rotation de la tête anime l’œuvre : les 36 carcasses n’en forment plus qu’une, en une danse macabre effrayante et hypnotique.

A la différence de Rembrandt qui, dans son Bœuf écorché de 1638, présentait une seule bête, visible dans son intégralité et suspendue au centre d’une pièce crépusculaire, Philippe Cognée se confronte ici à la modernité de l’abattoir, à l’industrialisation de la mort en masse et à la froideur d’un éclairage au néon.

On passe du bœuf aux carcasses, à des cadavres anonymes qui ne sont même plus qualifiés. On observe une variation des plans, comme autant de prises de vue différentes : Philippe Cognée peint tantôt la carcasse sous un très gros plan mettant en valeur le détail d’une côte, tantôt sous un plan large où le crochet et les pattes de l’animal peuvent apparaître dans toute leur tension douloureuse.
La bête est à la fois détail sanglant (l’œil du spectateur est en plein dans la chair bestiale) et corps mort qui pèse très lourd.
De même, Philippe Cognée fait varier la perspective lorsqu’il représente des rangées de carcasses accrochées les unes à côté des autres, suggérant un infini point de fuite sur l’inévitable mort.

La technique si particulière de Philippe Cognée donne ici une intensité incroyable aux carcasses. Sa façon de mêler les pigments de couleurs à de la cire, avant de les recouvrir d’un film plastique et de faire fondre la toile au fer à repasser permet de mettre véritablement en scène la décomposition de la viande et de la chair: les couleurs se mêlent, allant du rouge grenat au vert clair en passant par le blanc, laissant la viande en instance de putréfaction et de pourriture.

Philippe Cognée est un peintre expressionniste de la chair et de ses flux. Dans le sillage de Francis Bacon, qui a lui aussi emprunté le motif du bœuf écorché à Rembrandt, Philippe Cognée envisage la peinture du côté de la sensation, du sang qui coule sous les veines, de la torsion hystérique des muscles et des corps.
Chez Bacon, le bœuf écorché est le motif de la crucifixion : le Christ est un tas de viande écorché vif, rappelant que l’homme et la bête souffrent d’une même douleur…
Il en va peut-être de même pour Philippe Cognée dont l’œuvre rappelle que le caractère industrialisé de l’abattoir moderne ne va pas sans la standardisation funeste de l’être humain.

Publications :
— Catalogue Philippe Cognée, textes de Philippe Cognée et Christian Bernard, éd.
Galerie Daniel Templon/Mamco, Paris/Genève 2006.

Philippe Cognée
— Carcasses, 2003. Installation de 36 peintures à la cire. 70,5 x 47 cm chacune.

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