ART | CRITIQUE

Cao Fei

PJoana Neves
@05 Mai 2008

Artiste chinoise remarquée aux biennales de Venise et de Lyon, Cao Fei présente sa première exposition personnelle en France associant documents et fiction afin de (re)produire un univers où le virtuel est empreint d’une dure réalité et la réalité, à son tour, se teinte de fantastique.

Cao Fei envisage le monde (et l’art) comme héritage d’utopies activées, réalisées, imposées. Fille d’un sculpteur du régime politique chinois, cette jeune artiste de Guangzhou combine l’emprise du politique et celle de l’économie grandiose et productrice de nouvelles idéologies sur l’art. Elle en fait sa matière artistique qui prend forme dans des vidéos, des photographies et des installations multimédia hébergeant un monde plein de contradictions.
Ainsi, des sculptures allégorico-politiques côtoient des vidéos documentaires et des fantaisies urbaines où les citoyens incarnent les personnages loufoques du monde télévisé.

Nous sommes accueillis par une vidéo onirique, Cosplayers, filmée dans une ambiance urbaine chinoise, où nous suivons des jeunes vêtus à l’image de leurs héros mangas préférés.
Placée un peu en retrait, une sculpture en bronze intitulée La Racine se retrouve fermée dans un monde symbolique désuet, comme le deviendront, dans quelques années, les références ultra-contemporaines de jeunes chinois imitant les gestes guerriers de leurs héros.
La vidéo est dépourvue de narration. Les jeunes effectuent des poses, interagissant à peine, puis se retrouvent à la maison, auprès de leurs parents, dans cette réalité quotidienne qu’ils cherchent à fuir. Cao Fei ne présente pas de confrontation familiale, comme s’ils avaient déjà franchi le seuil de leurs rêves décharnés : les parents ne semblent pas affectés par l’attitude des jeunes «impersonators».

Cette dérive vers l’imaginaire, cette porosité entre le réel et le rêve se creuse dans les autres œuvres de l’artiste, notamment dans I Mirror, a Second life Documentary film by China Tracy et dans RMB City.
La première œuvre est un document-vidéo sur l’exploration de l’avatar de Cao Fei dans le fameux univers virtuel Second Life. Les rêves de Calvin (le petit enfant de six ans qui confie son désir à Hobbes, son ami imaginaire, d’avoir dans sa vie une bande son comme à la télé) y deviennent réalité. Une réalité entre parenthèses, car si des rencontres sont possibles entre les joueurs, c’est toujours sous couvert d’identités forgées avec une bande son écoeurante dont l’entropie est rendue au spectateur, mécaniquement ému.
La deuxième œuvre est celle d’une ville imaginaire, sorte de Dubaï élaboré par un enfant de dix ans avec les outils de Second Life. Deux ordinateurs impliquent le spectateur dans le jeu, tout en l’entourant d’un univers critique afin de lui faire remarquer les contradictions entre l’imaginaire et le corps imaginant, et l’incongruité d’un personnage qui ignore la fatigue, qui peut voler, traverser des murs et rencontrer des partenaires sexuels virtuels.

Les autres propositions de Cao Fei ont trait aux victimes de l’autoritarisme économique et politique chinois: l’acteur / l’artiste, la femme, l’ouvrier, le citoyen…
Après une installation multimédia regroupant plusieurs vidéos documentaires (dont Father où l’artiste suit son père chargé de concevoir une sculpture-monument de Deng Xiaoping), on est arrêté par la mise en scène d’une chambre de jeune fille parmi des cartons d’usine.
Des lits superposés sont jonchés d’objets rose-bonbon, de vêtements et de chaussons de petite fille, et des moniteurs sont enfouis dans les cartons amoncelés. Cela provient de l’action que Cao Fei a menée auprès des ouvriers de l’usine Osram, oscillant entre des évaluations de vies et des danses délurées dans les couloirs de la fabrique.
La présence d’une chambre de jeune fille chinoise opposée à l’horizon grisâtre des adultes traversés par leur désir de fantaisie place le spectateur entre un état de noirceur et une aspiration d’évasion par l’imaginaire. Ou par le hip-hop que l’artiste demande à des passants de danser, dans la vidéo Hip-Hop : Guangzhou, en forme de thérapie collective.

Cao Fei
— Cosplayers, 2004. Vidéo. 8’32
— Diversionist, Extrait de Cosplayers, 2004. Photographie. 75 x 100 cm
— RMB City, 2007. Installation Multimédia.
— A Mirag, Extrait de Cosplayers, 2004. Photographie. 75 x 100 cm
— I mirror, a Second Life Documentary Film by China Tracy, 2007. Vidéo.
— Whose Utopia, 2006. Installation vidéo.
— La Racine. Sculpture.
— Hip-Hop : Guangzhou. Vidéo.

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