ART | EXPO

But I prefer dogs with uncropped tails

13 Sep - 20 Oct 2012
Vernissage le 13 Sep 2012

Connu pour sa démarche méthodique et jubilatoire de subversion des images, via l'utilisation du collage et la mise en scène de soi comme protagoniste ambigu d'un théâtre d'apparences, Ramin Haerizadeh superpose et déchire des strates d'images puisées dans des répertoires visuels hétérogènes. Il compose ainsi une singulière esthétique du fragment.

Ramin Haerizadeh
But I prefer dogs with uncropped tails

Représentations allégoriques de corps nus idéalisés, paisibles paysages hollandais, natures mortes donnant à voir fruits et instruments de musique, portraits de commandes aristocratiques… Ramin Haerizadeh a travaillé pour la première fois à partir d’une banque d’images découpées dans des tableaux achetés à Dubaï qui reprennent maladroitement les poncifs iconographiques et stylistiques de la peinture européenne. Produits en masse par des petites mains en Chine, ces pastiches de mauvaise facture sont détournés par l’artiste qui instrumentalise leur séduction visuelle et leur familiarité rassurante, pour plonger le spectateur dans la contemplation d’une Å“uvre palimpseste, qui s’interroge sur les principes de répétitions, d’imitations et de transformation à l’Å“uvre dans l’écriture de l’Histoire.

Emblématique de cette mise en crise des représentations, l’Å“uvre qui accueille le visiteur dans l’exposition mélange, dans une esthétique du fragment et de la saturation all over, des images de mai 68 avec celles de manifestants iraniens lors de la révolution islamique de 1979. Rendues indissociables les unes des autres par le traitement noir et blanc qui leur est uniformément appliqué, les archives de ces deux événements en viennent à se confondre dans un raccourci ironique de l’histoire des peuples puisque, au mouvement de libération des mÅ“urs français, répond le retour iranien à une religion d’Etat. Un portrait de femme lettrée, rappelant l’iconographie de la Marquise de Pompadour, émerge de ce magma d’images monochromes pour se trouver comme décapitée par l’artiste qui colle, en lieu et place de sa noble figure, la combinaison monstrueuse d’un visage de poupée et du regard inquisiteur de l’ayatollah Khomeiny — signe de ce que les dictateurs avancent toujours masqués.

Inspiré par le projet du Louvre D’Abu Dhabi, un autre tableau de l’exposition donne à voir une reproduction de la Joconde sous les plafonds de la célèbre Galerie d’Apollon, dont l’image fragmentée et revisitée par des effets de symétrie, convoque l’héritage ornemental de la tradition persane et les jeux de miroirs de l’artiste moderne iranienne Mounir Farmanfarmaian. Cette orientalisation de l’espace que l’artiste avait déjà pratiquée avec virtuosité dans sa série Wonders of Nature, tranche par son esthétisme raffiné avec la violence du traitement infligé à la Joconde et aux diverses représentations féminines qui abondent, chacune se trouvant défigurée dans l’espace de l’Å“uvre. Référence à la censure qui menace les artistes du monde musulman, allusions aux désirs refoulés qui s’attaquent à toute manifestation d’érotisme… le célèbre et si énigmatique sourire de la Joconde — réminiscence d’un plaisir féminin interdit — a été arraché au visage de Mona Lisa, laissant place à l’image d’une bouche d’enfant soumise à l’écarteur chez le dentiste, dans un sourire forcé qui pourrait renvoyer aux affres de la condition féminine en régime islamique.

Avec une grande liberté créatrice, Ramin Haerizadeh superpose et déchire des strates d’images puisées dans des répertoires visuels hétérogènes. Alors que la figure de l’artiste se fait plus rare et n’apparaît plus que dans un jeu de cache-cache avec le visiteur, les anges de la déploration du Christ peints par Giotto dans la Chapelle de Padoue, reviennent comme un fil rouge dans l’exposition à l’instar des extraits entêtants de Salò ou les 120 journées de Sodome, qui côtoient ici et là coupures de journaux et graffitis régressifs de Keith Haring. A la faveur de ces associations intempestives hantées de façon subliminale par le visage des dictateurs — Khomeiny, Hitler, Ahmadinejad —, émerge un nouveau et terrifiant régime de l’image au sein duquel une inoffensive réclame pour coca-cola peut se transformer en publicité pour le viol.

Publié en partenariat avec les éditions Dilecta et le critique d’art Vali Mahlouji, un catalogue de 60 pages accompagne l’exposition.

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