ART | CRITIQUE

Brasilia / Chandigarh

PSarah Ihler-Meyer
@06 Déc 2008

Dans des espaces désertés — marqués par l’architecture moderniste — des personnages évoluent silencieusement, au rythme des images à la lenteur hypnotique. Ce qui n’est désormais plus qu’un simple décor s’inscrit dans la désillusion postmoderne, et fait écho au vide qui hante Nicolas, héros antonionien de l’œuvre de Louidgi Beltrame.

À peine entré dans la galerie, la lumière tamisée, les murs sombres et le faible bruit en provenance de la vidéo — projetée sur l’un des murs de la salle d’exposition —, introduisent le spectateur dans une temporalité autre que celle qu’il vient de quitter. Un ralentissement des gestes et des déplacements, des images et de leur succession, caractérise la vidéo Brasilia / Chandigarh.

Ces deux villes — symboles du modernisme architectural — ont toutes les apparences  d’espaces désertés, voire, post apocalyptiques. À l’exception de Nicolas, personnage central de cette œuvre, nul individu ne circule dans Brasilia. De même à Chandigarh, où deux femmes seulement déambulent dans des lieux à la limite de l’abandon.

Chandigarh et Brasilia — conçues par Le Corbusier et Niemeyer — apparaissent ici comme les ruines de l’utopie moderniste. Sur la base de la rationalisation de l’espace et de la planification urbaine, donnant jour à une organisation de la vie en secteurs, le modernisme architectural croit œuvrer dans le sens d’une société meilleure et pour un homme nouveau.

Or, avec pour résultat des villes-monuments davantage que des villes-animées, le modernisme écrase plus qu’il ne libère l’individu. Perdu dans des environnements architecturaux gigantesques, hors de toute échelle humaine, Nicolas n’est qu’un minuscule point au milieu de ce qui semble n’être qu’un parc de sculptures. En dehors du temps, les villes-images que sont Brasilia et Chandigarh — à la fois belles et invivables — parlent de postmodernité, c’est-à-dire de la fin des grands récits.

L’impression de villes fantômes se poursuit dans huit pièces fixées aux  murs (Figure 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8).  Sur un fond sombre, quelques-uns des monuments observés au cours de la projection sont reproduits : seul leur squelette est visible. Le trait fin et blanc de chacun de ces dessins donne un caractère spectral aux architectures.

Inhabitables, ces lieux répondent au sentiment d’absence au cœur de l’entreprise de Nicolas : photographier et répertorier — de manière compulsive — Brasilia. La sensation de vide domine en effet cette vidéo. Seul au milieu d’espaces désertés, Nicolas marche lentement, tandis que les mouvements de caméra, souples et calmes, suivent son évolution.

L’absence d’êtres humains et de péripéties renforce l’impression de suspension temporelle. En d’autres termes, l’architecture moderniste est dans cette vidéo le théâtre d’une décélération du temps, propre à la postmodernité et à la dépression, caractérisée par l’arrêt du désir, et donc de toute action.

À l’image des personnages de Michelangelo Antonioni — tels que Julienne (Le Désert rouge) ou David Locke (Profession Reporter) —, Nicolas est dépressif. Il évolue au sein d’espaces qui réfléchissent son angoisse, celle du vide, à laquelle répond une compulsion : photographier encore et toujours. C’est le pressentiment du néant qui est ici filmé et donné à éprouver.

À travers l’œuvre de Louidgi Beltrame, l’architecture moderniste devient l’incarnation d’un rapport mélancolique au monde.

Louidgi Beltrame
— Brasilia / Chandigarh, 2008. Vidéo numérique. 27 mn.
— Figure 1, Figure 2, Figure 3, Figure 4, Figure 5, Figure 6, Figure 7, Figure 8, 2008. Sept impressions pigmentaires sur papier japonais. Une gravure sur cuivre.

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