PHOTO

Boulevard

Les treize photographies présentées à la galerie Anne de Villepoix ne sont, en fait, qu’un reliquat de la série Boulevard qui fut exposée internationalement à partir de 2005. Boulevard regroupait alors, dans un catalogue imposant, cinquante-neuf photographies issues des aller-retour d’Adam Bartos entre Los Angeles et Paris. La plupart d’entre elles n’avaient été ni montrées, ni publiées en leur temps, alors qu’elles avaient été prises entre la fin des années 70 et 1995.
Avec le recul supplémentaire offert par la présente exposition, c’est toute une série de décalages temporels, dont il faut tenir compte pour dégager la portée esthétique de ces photographies.

En photographiant Paris et Los Angeles, peu après le début de sa carrière, Adam Bartos s’attaquait à deux «villes-pièges», comme il le déclarait dans une interview: «Lorsqu’on va à Paris ou LA en prenant des photos, il y a toujours le risque de tomber dans le piège du cliché».

Le photographe déjoue subtilement cet écueil, en s’inscrivant de manière complexe dans une tradition de la Street photographie. Les images sont rythmées par l’omniprésence des lignes de téléphone, de poteau, de poutrelle et autres profils de voitures.
Les compositions n’obéissent nullement à un souci d’harmonie géométrique. Elles restent souvent déséquilibrées et brouillonnes avec des cadrages aléatoires; telle, cette vue d’un jardin envahi par des branchages et des grilles en fer forgé à l’angle d’une rue.

Les photos sont souvent surchargées de détails inutiles et apparaissent sans véritable perspective. Les coins de rues, de parking, ou de friches conquièrent leur état d’équilibre, en s’adjoignant un traitement des couleurs et de la lumière tout à fait remarquable. Comme certains tableaux de Matisse, dans lesquels les couleurs, les tons et les jeux de lumière harmonisent le désordre des lignes et servent de repères visuels.
Ainsi, ce jaune intense d’un abri de chantier évite au regard de se perdre dans l’image! Et les touches de bleu-canard des clôtures de cet autre cliché, structurent l’espace et font office de plans. Par le choix de ses larges cadrages souvent indéterminés, de rue et de lieu quasi-désert, Adam Bartos propose donc une photographie incertaine et désœuvrée, qui correspond, sans doute, à la crise de l’image-action (photographie de document, de reportage, etc.)

Les deux villes semblent se confondre dans la même lumière automnale avec sa palette de tons étonnamment proches. Seules les marques de voitures singularisent chaque endroit de manière dérisoire. Cette répétition des automobiles est une dette à l’égard de la photographie de rue américaine. Mais, elle semble également inhérente aux appareils et aux focales utilisés par l’artiste (une chambre 5 x 7 pour L.A et un 35 mm pour Paris). Les voitures sont d’ailleurs, très souvent, coupées ou en marge de l’image. Toujours immobiles. Ce qui leur confère une présence quasi fantomatique, et suscite un sentiment d’étrangeté contemplative. Les photographies de Bartos exigent donc du spectateur une patience du regard à proportion de la durée laborieuse qui les a produites.

Adam Bartos a commencé sa carrière à l’époque où la couleur entrait dans la photographie des beaux-arts (avec Meyerowitz, Eggleston ou Shore au début des années 70). Il semble rechercher dans ce traitement des couleurs une dimension a-signifiante, qui précisément échappe au régime des clichés. Le matériau coloré devient, alors, porteur de fonctions pathiques (sensorielles, affectives) qui contrastent avec la transparence actuelle des images numériques.

Aussi, à notre époque des «visuels» dématérialisés, le plaisir de voir des images en couleur fraîchement imprimées (prises il y a 30 ans parfois), participe pleinement de l’intérêt de cette exposition.
Bartos est d’ailleurs farouchement attaché au dispositif de la chambre noire, sans lequel ce traitement, si subtil, des tons ne serait pas possible. (Chaque tirage a été réalisé à l’aide d’un procédé en quatre couleurs transférées sur carbone.)
Cette photographie de l’intervista nous convie, également, à regarder l’entrevue, l’entre-deux des choses et des objets qui échappe à notre regard d’hommes pressés.

Pour conjurer le risque des clichés, Adam Bartos va, donc, proscrire soigneusement les chemins balisés associés à la ville lumière et à la métropole du cinéma. Aucune des treize photographies exposées ne montre ni le Paris des cartes postales, ni le Los Angeles des paillettes et des Stars associées à Hollywood! Ainsi, la photographie d’un morceau de bâche d’un manège pour enfants devant quelques branches permet à peine de reconnaître le jardin du Luxembourg. Les photographies ne sont donc aucunement nostalgiques d’un Paris disparu ou d’un Los Angeles de légende.

Si le photographe new yorkais propose cependant de dévoiler le travail du temps, ce n’est pas celui de la perte du «ça a été», mais de cette durée imperceptible et diffuse qui patine les couleurs de la surface d’une Mustang. D’ailleurs, il n’y a ni studium, ni punctum, dans ces photos. Le détail est toujours insignifiant, comme la rouille sur une tôle ondulée ou une fissure dans le béton.

Å’uvres
— Adam Bartos, Jardin du Luxembourg, 1992. Tirage sur papier archive. 52,5x 67,9 cm
— Adam Bartos, Rose Avenue, Venice Beach, 1979. Tirage sur papier archive. 86,3 x 114,3 cm
— Adam Bartos, Los Angeles (overpass), 1978. Tirage sur papier archive. 86,3 x 114,3 cm
— Adam Bartos, Figueroa Street, 1978. Tirage sur papier archive. 86,3 x 114,3 cm
— Adam Bartos, Pico Boulevard (bravo poster), 1978. Tirage sur papier archive, 86,3 x 114,3 cm
— Adam Bartos, West 80th street, Playa del Rey, 1979. Tirage sur papier archive, 86,3 x 114,3 cm
— Adam Bartos, Rue de Tolbiac (man walking), 1992. Impression sur papier archive 52,7 x 67,9 cm
— Adam Bartos, Rue de Thionville, 1987. Tirage sur papier archive 52,7 x 67,95 cm
— Adam Bartos, Paris, 1er arrondissement, 2012. Tirage sur papier archive 52,7 x 67, 95 cm
— Adam Bartos, Paris (service vente Volkswagen), 1992. Tirage sur papier archive 52,7 x 67,95 cm
— Adam Bartos, Paris (outside gare d’Austerlitz), 1992. Tirage sur papier archive 52,7 x 67,95 cm
— Adam Bartos, Parc de Saint Cloud, 1995. Tirage sur papier archive 52,7 x 67, 95 cm
— Adam Bartos, Jardin du Luxembourg, 1992. Tirage sur papier archive 52,7 x 67,95 cm

Publication
Adam Bartos, Geoff Dyer, Boulevard, Steidl. Pascal Dangin, 2005