ART | EXPO

Body Talk. Féminisme, sexualité et corps

30 Oct - 17 Jan 2016
Vernissage le 30 Oct 2015

Le Frac Lorraine présente une exposition autour de six artistes, en vue de réinterroger le statut et l’identité des femmes issues d’un même continent, l’Afrique. L’occasion de s’arrêter sur un féminisme que l’on sait protéiforme, mais aussi sur le rôle émancipateur et contestataire que l’art se doit d’occuper face à certains types de discours.

Zoulikha Bouabdellah, Marcia Kure, Miriam Syowie Kyambi, Valérie Oka, Tracey Rose, Billie Zangewa
Body Talk. Féminisme, sexualité et corps

Dans un texte intitulé «The Body Politic: Differences, Gender, Sexuality» (dans Contemporary African Art Since 1980 ), Okwui Enwezor et Chika Okeke-Agulu évoquent le rassemblement de 1929 des femmes Igbo, qui s’est tenu dans la ville d’Aba au Nigéria. Ce rassemblement, où des femmes utilisèrent leur corps dénudé pour exprimer leur désapprobation, était un mouvement de protestation face aux politiques de taxation de l’administration coloniale britannique, et une image puissante d’utilisation significative du corps par des femmes nigérianes. L’événement d’Aba est resté dans les mémoires comme l’une des premières occurrences historiques du mouvement féministe nigérian moderne, mais aussi comme un exemple de la critique du pouvoir colonial. La manifestation publique du corps féminin nu est une pratique profondément ancrée dans les cultures traditionnelles africaines comme moyen de dénoncer les injustices. Un incident notable a eu lieu en 1819 à Nder, un petit village dans le nord du Sénégal, dont l’histoire est marquée par la tragédie de l’auto-immolation d’un groupe de femmes qui a préféré se suicider et tuer ses enfants plutôt que de tomber dans les mains des marchands d’esclaves arabes et maures.

La résonance critique d’un féminisme proprement africain – et d’un féminisme noir – et l’extension des pratiques artistiques à des réseaux internationaux, ont modelé, depuis les années 1990, un art féministe noir (issu du continent et de la diaspora) dans lequel le corps perpétue une tradition de militantisme et de libre expression. Body Talk: féminisme, sexualité et corps présente une combinaison de nouvelles productions et d’oeuvres existantes, et propose une vue d’ensemble des questions posées par l’usage du corps comme matériau artistique.

Qu’est-ce qu’un corps féminin africain ? L’ultime objet du sacrifice patriarcal ? Le corps sacré, souillé, transgression des frontières de la race et du genre dans sa mise en scène, et incarnation (embodiment) de l’histoire ? Ou tout cela à la fois ?

Rappelons que ce corps-véhicule s’inscrit dans un féminisme qui a sa propre histoire: c’est en 1923, en Égypte, que s’établit le premier mouvement féministe africain avec la formation de l’Union Féministe Égyptienne dirigée par Huda Sha’rawi. À partir des années 1980 certaines préféreront parler de Womanism (plutôt que de Feminism) pensant avoir trouvé «un féminisme plus inclusif» défendu par l’auteure afro-américaine Alice Walker. Cette préférence pour le Womanism plutôt que Feminism chez certaines femmes noires mérite d’être soulignée car elle s’expliquerait par la marginalisation des femmes de couleur au sein du féminisme le
plus répandu, mais aussi par le fait que les femmes africaines aient été déçues par le féminisme blanc radical qui ignorait la réalité à laquelle étaient confrontées les femmes noires. C’est cette unité d’intention que l’on retrouve au coeur du travail des artistes réunis dans l’exposition.

Les contributions des artistes pour cette exposition sont autant de façons de retrouver ce corps, de le réintégrer, de le réincarner; les outils de l’art contemporain – performance, photographie, vidéo, film, installation – sont autant de moyens pour le faire. Les oeuvres renvoient à des figures historiques, elles recréent des personnages modernes et raniment des corps du passé et du présent. C’est le cas avec la présence récurrente de Sarah «Saartjie» Baartman, plus connue sous le nom de «Vénus Hottentote» ou «Vénus Noire», corps-objet exposé et violenté au destin tragique. Chacune des artistes participant à l’exposition a ainsi pour particularité de positionner matériellement son corps dans une histoire et dans sa relecture, ainsi que dans un espace singulier au sein d’un monde de plus en plus homogénéisé. C’est la diversité et la subjectivité des formes et des réponses que Body Talk tente de mettre en lumière.

Koyo Kouoh

Commissariat
Koyo Kouoh, assistée par Eva de Barois de Caevel (Raw Material Company, Dakar)

Exposition initiée par WIELS, Bruexelles (Belgique) en coproduction avec le 49 Nord 6 Est (France), Metz et Lunds konsthall, Lund (Suède).

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