ART | CRITIQUE

Blow Job

PSarah Ihler-Meyer
@16 Mar 2009

Corrosives et comiques, les vidéos de Sturtevant adoptent les conventions du film pornographique pour mieux les démonter. L’esthétique du gros plan et de la répétition trahit l’incapacité du porno à rendre compte de la réalité. Cadrer et dupliquer le visible tue le réel en manquant sa part d’ombre.

A peine entré dans la galerie, trois bouches sautent aux yeux. Sur chacun des trois moniteurs de l’installation Blow Job, une bouche est prise en gros plan. Maquillées de rouge à lèvres, ridées ou extraites d’un dessin animé, ces bouches passent d’un écran à l’autre, s’agitent et tentent en vain d’articuler des sons. Seul un rire inquiétant, voire diabolique, ponctue à intervalles réguliers le silence de ces vidéos.

Les gros plans, les répétitions et au final l’absurdité de ce qui est vu: tout rappelle l’esthétique pornographique. Selon Sturtevant, les trois caméras vidéo de son installation «accentuent le son et le mouvement du vaste monde de la pornographie: […] sa réalité et sa brutalité, sa beauté et ses distorsions, son réjouissement, sa tristesse et son sadisme enragé».
Ainsi, en récupérant ses codes, l’artiste accroît l’effet de la pornographie, à savoir la violence faite au regard. L’ensemble des paramètres formels de ces vidéos — le rythme effréné du montage, les mouvements brutaux des lèvres —, concourent à violenter le spectateur, indéniablement brutalisé par cette saturation visuelle.

«La chair est triste, hélas!», l’origine de Blow Job est peut être à chercher de ce côté. C’est du moins le sentiment que donnent les peaux craquelées, l’incapacité à articuler un son, mais aussi le rire sarcastique et le montage saccadé. Comment pourrait-elle être épanouie, elle qui est réduite au mutisme?

Mais Sturtevant ne limite pas ici son travail. Par-delà la violence de ce qu’elle montre, elle analyse le fonctionnement de l’image pornographique. A l’inverse de ce que l’on pense communément, la pornographie ne témoigne pas du réel. Son hyperréalisme, c’est-à-dire sa tendance au gros plan et à la répétition, réduit le réel au visible au détriment de sa part d’ombre. En négligeant l’invisible au profit du visible, la pornographie expose une réalité rendue absurde.

C’est ce dont témoigne l’installation Blow Job mais également les deux autres pièces de l’exposition. D’une manière décalée et comique, Hey et Hello exposent l’absurdité de l’image pornographique.
Il s’agit de deux vidéos montrant respectivement une paire de fesses, au milieu desquelles est plantée une pancarte en forme de main. Cette dernière bouge de bas en haut en signe de salut, accompagnée d’une voix off criant «Hey!» ou «Hello!». Autant dire que la redondance entre ce qui est vu et ce qui est entendu — stratégie propre au porno —, n’apporte rien, si ce n’est du ridicule en plus.

Avec Blow Job, Hey et Hello, Sturtevant montre le leurre qu’est la pornographie dans sa prétention à rendre compte du réel.

Sturtevant
— Blow JoB,
2006.
Vidéo sur trois moniteurs, en boucle, couleur, son.
1,30 min, boucle de 15 min.
— Hello, 2006. Vidéo en boucle sur moniteur, couleur, son. 27 sec. en boucle
— Hey,
2006. Vidéo en boucle sur moniteur, couleur, son.
27 sec. en boucle

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