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Birthday Gift

PJulie Beaufils
@12 Jan 2008

L’artiste conceptuelle Hanne Darboven présente trois œuvres: Birthday Gift, composée de dizaines de photos de doubles pages d’un agenda, et Opus 44/45, deux livres contenant la partition de deux compositions de Hanne Darboven retranscrites — dans l’un, en notation numérique, et graphiquement, dans l’autre. Une interprétation des œuvres nous accompagne acoustiquement dans l’exposition.

La galerie Martine Aboucaya présente trois œuvres de l’artiste conceptuelle Hanne Darboven sous le titre Birthday Gift, nom de la plus imposante des trois. La deuxième œuvre est constituée par deux livres tirés à cent exemplaires chacun et qui contiennent la partition de deux compositions de Hanne Darboven. Dans l’un des livres, les compositions sont données en notation numérique, dans l’autre en transcription graphique (Opus 44/45). Une interprétation des œuvres nous accompagne acoustiquement dans l’exposition. Le CD est en vente à la galerie.

Birthday Gift est constitué de plusieurs dizaines de photographies numérotées. Elles sont alignées sur le mur et chacune montre deux pages d’un agenda qui reprenait en 1986 des dessins et des textes de la revue Esquire de l’année 1936. En dessous de chaque photographie collée sur papier blanc, Hanne Darboven a écrit «Birthday Gift».

Le temps qui passe joue un rôle essentiel dans cette œuvre: vingt ans se sont écoulés depuis que Hanne Darboven a commencé le travail sur Birthday Gift pour fêter le quatre-vingtième anniversaire de Leo Castelli à l’aide d’un Filofax qui, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la revue Esquire, rendait hommage à sa première publication en 1936.

Mais l’œuvre Birthday Gift montre aussi d’autres aspects qui sont essentiels pour l’œuvre de Hanne Darboven:
1. La «Konstruktion», système pour extraire un chiffre de toute date donnée.
2. L’écriture sans lettres No More Words.
3. L’hommage à un personnage important du monde de l’art ou de la politique (ici le marchand d’art Leo Castelli à New York, dans d’autres œuvres Lincoln ou Fassbinder).

La dimension historique de l’œuvre devient plus nette lorsque l’on note que la rédaction du calendrier énumère certains événements de l’année 1936. Ainsi, le 17 juin 1986, le calendrier nous informe que Himmler a été nommé «Chef der Deutschen Polizei» en 1936.

L’enlevant d’emblée à son état de pure produit industriel, Hanne Darboven a personnalisé le Filofax dès son début:
«To: Leo Castelli
Sept. 4, 1987
[…]
Happy Birthday
Hanne Darboven».

Sur la page suivante, Hanne Darboven fait la somme des dates de naissance et d’anniversaire de Castelli à l’aide de sa «Konstruktion», développée en 1968 afin d’introduire une dimensions temporelle dans ses travaux jusqu’alors essentiellement mathématiques.
Darboven additionne les chiffres de la date après avoir omis le siècle et séparé les chiffres de l’année. Pour les dates de naissance et du quatre-vingtième anniversaire de Leo Castelli, cela donne: 4.9.1907 [4+9+7=20K] et 4.9.1987 [4+9+8+7=28K].

Le calendrier est de 1986 alors que «Leo’s Birthday» aura lieu le «4. sep. 1987». En s’approchant de la date de l’anniversaire, Darboven remplit chacune des lignes du Filofax — prévues pour noter les différents rendez-vous de la journée — avec des lignes en forme de vagues qui, tout en étant parfaitement uniformes, évoquent une écriture.
Hanne Darboven dit à propos de cette démarche: «No More Words est un processus d’écriture, ce n’est pas un processus de dessin. L’écriture remplit l’espace comme un dessin le ferait» (Artforum XXVI/5, janv. 1988). Les lignes prennent ici la place des événements qui ont lieu le jour en question.

Comme le calendrier, «l’écriture» marque à sa manière le passage du temps puisqu’elle renvoie à la consommation du temps par l’action d’écrire même. Celle-ci consume du temps sans aboutir de manière évidente à quelque signification. Répétée presque à l’infini, l’écriture de No More Words, donne un caractère obsessionnel et hermétique à Birthday Present.
Des changements minimes font alors événement: entre décembre 1986 et janvier 1987, Hanne Darboven a changé d’encre. L’anniversaire de Leo Castelli, d’abord le soixante-dix-neuvième, puis — sur le Forward Planner pour 1987 — le quate-vingtième sont indiqués en écriture standard. C’est le standard qui devient alors extraordinaire — et avec lui, l’événement qu’il sert à indiquer.
Il apparaît alors que les mois qui précèdent l’anniversaire ne sont que l’attente de celui-ci. Plus d’une année semble s’écouler entièrement en fonction des deux anniversaires de Castelli. Aucun autre événement ne trouve place dans ce calendrier et, pourrait-on croire, dans la vie de celui qui l’a fait.

Le Filofax photographié a réellement été offert à Leo Castelli pour son anniversaire. L’œuvre devient alors la trace d’un acte d’amitié réelle. La démarche de Darboven en devient d’autant plus frappante. Le calendrier est périmé et rempli lorsque Castelli le reçoit. Il a cessé d’être l’objet d’usage de bon goût qu’il avait été à l’achat — un objet que beaucoup de femmes ont certainement offert à leur mari au début de 1986. Ici, le cadeau n’est pas le calendrier sinon l’acte de mise en valeur de l’anniversaire même. Mais cette mise en valeur se fait à travers une démarche qui est chère à celle qui fait le cadeau.

English translation : Margot Ross
Traducciòn española : Santiago Borja

Hanne Darboven
— Diary, 1987. Oeuvre en 70 parties, dessins et photographies couleur. 70 x 50 cm (encadrés).
— Opus 44/45, 2005. Livre de partitions en deux parties, numéroté et signé.

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