ART | EXPO

Beyond Magic

14 Juin - 27 Juil 2014
Vernissage le 14 Juin 2014

Pour fêter les cinquante ans de la galerie Ruth Benzacar de Buenos Aires, Renos Xippas a souhaité rendre hommage au travail extraordinaire de diffusion de l’art argentin qui y a été réalisé depuis les années 1960. Il présente les travaux d’une sélection d’artistes de la galerie dans son espace parisien.

Pablo Siquier, Liliana Porter, Leandro Erlich, Eduardo Basualdo, Pablo Reinoso, Carlos Huffmann, Marina de Caro, Luciana Lamothe, Carlos Herrera Mariana Telleria, Max Gomez Canle, Adrian Villar Rojas, Jorge Macchi, Jazmin Lopez, Miguel Angel Rios, Roberto Aizenberg
Beyond Magic. Ruth Benzacar @ Xippas

Voilà des décennies que des critiques d’art et des historiens s’époumonent, pour faire entendre au monde un principe simple: l’Amérique latine n’est pas une catégorie artistique, pas plus que les pays qui la composent. Dans Beyond the Fantastic (Beyond the Fantastic: Contemporary Art Criticism from Latin America, édité par Gerardo Mosquera, Londres: Institute of international Visual Arts, 1995), recueil de textes publié en 1995, de nombreuses voix s’élèvent contre toute vision essentialiste et homogénéisante, qui attribuerait des caractéristiques à l’art du continent. Beyond Magic y fait directement référence, et place ainsi l’exposition au-delà d’une tentative de définition de l’art argentin, mais plutôt comme une nouvelle étape d’une histoire personnelle de compagnonnage avec l’art et les artistes d’Amérique latine (Albertine de Galbert a créé en 2011 le site arte-sur.org, à la suite d’un voyage de prospection d’un an dans une dizaine de pays d’Amérique latine).

La sélection d’œuvres présentée à la galerie Xippas s’articule précisément autour de ce qui résiste à une définition: un réalisme magique pensé à travers le spectre de l’Unheimliche, l’«inquiétante étrangeté», dont Freud a développé le concept dans un essai du même nom, et où il analyse le malaise né d’une rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne. Dans cet essai, Freud prend l’exemple d’un moment d’inconfort violent, éprouvé lors d’un voyage en train, et provoqué par la vision inattendue de sa propre image reflétée dans un miroir: «Je me précipitais pour renseigner ce vieillard, mais je m’aperçus, tout interdit, que l’intrus n’était autre que ma propre image reflétée dans la glace de la porte de communication. Et me rappelle encore que cette apparition m’avait profondément déplu. […] Qui sait si le déplaisir éprouvé n’était tout de même pas un reste de cette réaction archaïque qui ressent le double comme un étant étrangement inquiétant (Sigmund Freud, Essais de psychanalyse appliquée, éd. Gallimard, 1983, p.204)?».

Nous connaissons tous ce sentiment bizarre de décalage, cette dissemblance d’avec ce que l’on croyait connu: une photographie prise à notre insu où l’on est étranger à soi-même, une histoire jamais racontée qui semble familière, une sensation de déjà-vu, sont autant d’irruptions du bizarre dans la réalité, de petites divergences hors temps qui ne parviennent pas à s’emboîter dans le présent.

Un plan éclaté de Pablo Siquier, comme chiffré par un code qui n’appartiendrait qu’à lui, accueillera le visiteur sous la verrière et donnera le ton de l’exposition. Il dialoguera avec les chemins tortueux de Liliana Porter, les trompe-l’œil de Leandro Erlich, de Eduardo Basualdo et de Pablo Reinoso, avec les personnages d’histoires racontées mais non encore écrites de Carlos Huffmann, les installations performatives de Marina de Caro, la sculpture figée dans un équilibre menaçant de Luciana Lamothe, celles de Carlos Herrera sorties d’une réalité voilée, les collages de Mariana Telleria et les montages de Max Gomez Canle et de Adrian Villar Rojas, les disparitions et les superpositions de Jorge Macchi, les dédoublements inquiétants de Jazmin Lopez, Miguel Angel Ríos et Roberto Aizenberg.

La particularité de l’espace de la galerie Xippas est son architecture qui contraint le visiteur à s’engager dans une voie sans issue. Il faut, pour découvrir toutes les œuvres exposées, s’aventurer dans une première pièce, monter un escalier, traverser un couloir, une pièce, une autre, descendre un escalier pour finalement faire le chemin inverse pour repartir. L’exposition joue donc aussi de ce critère, chaque œuvre réapparaissant dans le parcours, dédoublée par une nouvelle perspective offerte au regard.

Albertine de Galbert, commissaire de l’exposition

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