DANSE | CRITIQUE

Bestiole

PSophie Grappin-Schmitt
@26 Jan 2012

Avec Bestiole Myriam Gourfink poursuit son travail d’écriture de la danse en direct et livre une chorégraphie de groupe qui se déploie et s’anime à la manière d’une sculpture vivante. De quoi nous tenir en haleine jusqu’à la présentation d’Une lente mastication.

Consacrée en ce début d’année 2012 par une actualité débordante (trois spectacles programmés en trois lieux parisien, qu’accompagnent la sortie d’un livre, Myriam Gourfink, danser sa créature, et d’un cahier spécial édité par la revue Mouvement), Myriam Gourfink creuse depuis quinze ans le lit d’une danse singulière, qui apparaît, au-delà d’une extrême lenteur caractéristique, redéfinir la substance même des corps dansants.
Chez la chorégraphe passée par le travail d’Odile Duboc, la matière du corps est moléculaire et infiniment virtuelle, mentale, chargée de potentiel.

Avec Bestiole, pièce pour un groupe de sept danseuses dont la partition est agencée en direct, il s’agirait de faire naître de nouvelles créatures, issues de l’imaginaire et de l’intériorité de chacune des participantes, à partir de l’extrême plasticité d’une substance-corps qui autorise la métamorphose. Dans cette nouvelle proposition, Myriam Gourfink poursuit en quelque sorte le dispositif mis en place avec Les temps tiraillés, en le déployant sur d’autres niveaux.

Les interprètes arrivent à vive allure sur un plateau plongé dans la pénombre où une constellation d’écrans surplombe une série de praticables.
Ceux-ci, agencés en cercle, proposent à l’évolution des participantes plusieurs surfaces non horizontales, aux degrés de pente ainsi qu’aux hauteurs variées. Sur un signe de la chorégraphe, placée un peu à l’écart, en fond de scène, les danseuses débutent leur parcours, lente révolution autour du dispositif scénique qui vont les entrainer à entrer en contact avec les plans hétérogènes, proposant aux regards des spectateurs une sorte de sculpture en constante évolution animée par un jeu de lumière qui enrobe ou détache les silhouettes. Accompagné par la musique de Kasper T. Toeplitz, le mouvement se fait vibratoire et continu, sans début ni fin.
Puissamment ancrées dans le sol, les postures évoluent selon les indications de la chorégraphe relayées par les écrans suspendus aux cintres, mais, aussi, en fonction des difficultés qu’engendre un sol irrégulier.

Ainsi les interprètes semblent continuellement s’adapter à trois formes de contraintes au cœur du processus d’écriture de la pièce: la lecture et le respect d’une partition; la prise en compte d’un espace à la surface accidentée et saturé de corps; la mise au jour et l’expression d’une intériorité singulière.

A ce jeu-là toutes les interprètes n’ont pas la même aisance. Si certaines dominent le sujet, y puisent une force inimaginable, d’autres semblent écrasées sous le poids des difficultés comme de ces mêmes puissantes présences que le dispositif permet de mobiliser. Il en va de l’espace comme des corps: le groupe présente des irrégularités, des variations d’intensité qui parfois empêchent une immersion complète dans l’œuvre.
On aurait ainsi aimé se laisser entièrement pénétrer par la proposition, comme ce fut le cas, quelques jours plus tôt, devant le solo présenté à Mains d’Œuvres, Breathing Monster. Etait-ce lié à la position même du spectateur, debout, qui engageait naturellement son corps dans cette forme de communion? A l’unicité de la présence dansante qui, focalisant l’attention en un seul point, permettait au regard de se dissoudre dans son objet ? A la symbiose du musicien et de la danseuse? Ou bien encore à la présence singulière de la chorégraphe…
A vérifier dans quinze jours au Théâtre de Gennevilliers avec Une lente mastication,sa prochaine création.

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