ART | INTERVIEW

Bertrand Lamarche

A l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Poggi et Bertoux associés, Bertrand Lamarche commente quelques-unes de ses dernières réalisations et revient sur les notions qui traversent l’ensemble de son oeuvre.

Jérôme Poggi. Pourquoi avoir intitulé ton exposition «Looping»?
Bertrand Lamarche. «Looping» fait référence au monde de la musique et à la notion de sample. Ce que nous entendons dans l’installation principale, c’est une boucle extraite d’un album de Kate Bush. Cette boucle sonore correspond exactement à une rotation de 360° du disque. Un miroir anamorphique est posé sur la platine en rotation qui vient faire dérailler le bras au moment précis où le vinyle a effectué un tour complet. Il y a une exacte synchronisation entre le son, le mouvement et l’image captée par une caméra et projetée sur un écran.

Le sample induit un rapport au temps très particulier? 
Bertrand Lamarche. En répétant un morceau, on met en avant une réalité qui est celle d’un état, l’état d’un transport dans un présent déployé. C’est ce que font beaucoup les DJ dans les clubs. Cela à voir avec une forme de transe. Mais on n’essaie pas d’aller ailleurs mais d’être là au contraire, ici et maintenant, dans un présent.

Tu as souvent fait des pièces sonores?

Bertrand Lamarche. Oui, notamment avec des disques de Kate Bush. Contrairement à ce que peuvent laisser penser certaines de mes pièces sonores basées sur les qualités intrinsèques de leur matériaux propres, je pars souvent de «figures» dans mes œuvres, que ce soit celles de lieux ou de personnalités comme Kate Bush. La première pièce que j’ai faite avec elle, c’était une platine que j’avais construite de façon à pouvoir écouter son premier album à l’envers. J’ai voulu revenir à cette question de la figure dans l’installation principale de l’exposition.

Que représente Kate Bush pour toi?
Bertrand Lamarche. C’est une invention.

L’historien de l’art Pascal Rousseau associe la notion de «transe» et celle de «trans», de passage d’un état à un autre, d’un genre à un autre. Ce glissement sémantique fait-il également sens pour toi?
Bertrand Lamarche. Oui, Kate Bush, c’est moi.

Il y a une dimension érotique dans cette installation?

Bertrand Lamarche. J’ai grandi le nez devant un tourne-disque quand j’étais gamin. Je crois qu’il y a quelque chose de l’allégorie ou de la métaphore sexuelle dans cet objet. Il y a dans mon installation une mécanique assez fluide qui se met en place, sans doute sexuelle, ou érotique.

Il est souvent question d’échelle, de modélisation dans tes œuvres?
Bertrand Lamarche. On a parfois appelé Kate Bush the «mini-mouse soprano», ce qui évoque un changement d’échelle aussi, mais vocale. Tout cela rejoint le rituel de passage d’un espace temps à un autre, tel que Lewis Carroll l’a utilisé avec Alice.

Le dispositif de la platine, de la caméra, du vidéoprojecteur me permet de créer une architecture librement, de créer un espace sans utiliser de maquette, comme si on était dans une boîte de nuit. Je suis content dans ma pièce d’avoir pu matérialiser le faisceau lumineux du vidéo projecteur grâce à de la fumée. Il devient un acteur du système. Du coup, le balancement de la lumière fonctionne comme un pendule. A la différence du pendule que j’avais réalisé pour la Nuit blanche à la Fondation Pierre Bergé / Yves Saint Laurent, celui-ci est latéral, balayant l’espace de gauche à droite, un peu comme un phare. Il y a quelque chose de paradoxal qui m’a toujours troublé dans la figure du phare. Car même s’il est fait pour être vu, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’un phare voit. Qu’il regarde.

Tu présentes une autre pièce avec un tube qui crache de la fumée?  

Bertrand Lamarche. C’est une pièce météorologique. Ici, de la brume sort d’un tube comme une déjection, qui se répand sur les plis quadrillés d’un pièce de feutre noir, comme sur une carte dépliée. C’est un micro-paysage météorologique qui révèle en même temps les courants d’air traversant l’espace dans lequel elle est exposée.

Tu peux nous parler des dessins projetés sur fond vert?
Ce sont des dessins sur transparents qui sont rétroprojetés sur un fond vert dit «cyclo». On utilise ces fonds pour filmer des personnages qui peuvent être ensuite incrustés ailleurs. Ces dispositifs parlent du déplacement des choses, de la possibilité de les différer. J’aime l’idée de rendre apparent cette surface monochrome qu’on ne voit jamais.

Tu exposes également une série de photographie d’une étrange construction en bois surmontée d’une roue. A quoi est lié ce projet?

Bertrand Lamarche. Il s’agit d’une maison du Plateau de Maxéville, à côté de Nancy, qu’un homme a construite avec des matériaux de récupération et qu’il est sans cesse en train de restaurer et d’agrandir. Cette maison ressemble à un palais aux dimensions relativement importantes couvert de tuiles en moquette, coiffé d’une roue en bois installée sur le fait de l’édifice. L’auteur de cette architecture précaire m’a expliqué que, la nuit venue, des rats grimpent sur cette roue et qu’il observe alors dans leurs yeux le reflet des étoiles, y lisant une certaine configuration du cosmos à partir duquel il dessine dans un carnet les proportions du palais. Il y a là, dans cette architecture autarcique, quelque chose qui rejoint les utopies. J’ai voulu montré ces photographies avec un texte expliquant cette rencontre.

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