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Bernd et Hilla Becher

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Connue et reconnue, glosée par de nombreuses plumes, l’œuvre des Becher apparaît aujourd’hui datée, comme indélébilement marquée par l’obsolescence des architectures industrielles qu’elle monumentalise. La traversée de l’exposition évoque celle d’un cimetière où seraient rassemblés les restes, carcasses vides encore debout, d’une civilisation perdue.

Commencée à la fin des années 1950, couronnée par un prix de sculpture à la Biennale de Venise en 1990, l’œuvre des Becher est connue et reconnue. Exposée, jusqu’alors de façon certes fragmentaire en France, mais surtout publiée en de lourds recueils, commentée, glosée par de nombreuses plumes, elle apparaît aujourd’hui datée. Malgré sa rigueur et sa sécheresse dénuée de tout pathos, elle paraît comme indélébilement marquée par l’obsolescence des architectures industrielles qu’elle monumentalise.

Au cœur de l’exposition, une salle carrefour réunit un ensemble de la fin des 1950, consacré à la mine Zollern 2, dans la Ruhr, qui fait figure ici de point origine de l’entreprise des Becher. Y est dressé l’inventaire visuel des objets et des bâtis de l’ensemble minier, de l’habitation ouvrière à la salle des machines. À partir de ce tableau topologique s’étoilent les séries typologiques.

L’accrochage en grille des artefacts industriels systématiquement répertoriés par les Becher (gazomètres, silos à charbon, tours de réfrigération, hauts-fourneaux, etc.) met à jour une logique sérielle implacable. Fondée sur la répétition à l’identique des paramètres photographiques, réglés pour isoler l’objet de son contexte, sans distorsion ni interférence, elle s’inscrit dans la tradition de la transparence documentaire du XIXe siècle, que la Nouvelle Objectivité avait réactivée dans les 1920.
Netteté totale, hauteur du point de vue, verticales redressées, frontalité, lumière étale, et cieux vides, épinglent les spécimens, muets, anonymes, et quelques peu monstrueux, dans leur incompréhensible complexité, et leurs infinies variétés.
Une photographie, glissée dans la série des paysages industriels, nous montre le dispositif : Hilla Becher, juchée sur une échelle derrière la chambre grand format, cadre un mastodonte d’acier, pour une sorte de mise à nu qui en révèlera avec minutie la structure formelle, et, par suite, l’obsolescence. La traversée de l’exposition évoque en effet celle d’un cimetière où seraient rassemblés les restes, carcasses vides encore debout, d’une civilisation perdue, quand la fonction imprimait une forme à la matière.

La photographie, dont on sait le rôle qu’elle tint dans le processus de dématérialisation de l’art, se révèle ainsi le moyen de retenir dans les mailles serrées d’une nasse régulièrement tissée cette industrie dite lourde, frappée, elle aussi, de dématérialisation et de délocalisation, dans les pays dont elle a fait la richesse.
«Profondément liée à la société industrielle», elle le reste jusque dans sa disparition, elle en devient la mémoire multifonctionnelle (esthétique, historique, patrimoniale, technique, etc.), désormais sur le territoire non utilitaire de l’art.

Bernd et Hilla Becher
— Tours de réfrigération. 6 séries de 9 photos.
— Hauts fourneaux. 5 séries de 12 photos.
— Silos à céréales. 3 séries de 12 et 3 séries de 15 photos.
— Usines de traitement. 3 séries de 15, 2 séries de 16 et 1 série de 12 photos.
— Chevalements, 1972-1983. 3 séries de 12, 10 séries de 15 photographies.
— Gazomètres. 1 série de 9, 1 série de 12 et 3 séries de 15 photos.
— Gravières. 1 série de 15 photos.
— Châteaux d’eau, 1970-1998 3 séries de 15, 4 séries de 9 et 1 série de 12 photos.
— Paysages industriels. 41 photos.
— La Mine Zollern 2.

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