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Benjamin Sabatier

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Calqué sur les principes et les techniques de la grande distribution, Benjamin Sabatier vend des œuvres en kit, à réaliser soi-même. Fourgue et chef d’entreprise à la fois, il parodie les circuits économiques de notre époque pour mieux les détourner. Il rend visible ce qui est caché. Warhol voulait être une machine, Sabatier lui travaille à flux tendu.

Benjamin Sabatier présente le bilan de deux ans de travail. Plusieurs pistes se dégagent de ce parcours. Une chose reste identique, c’est l’aisance et l’élégance des réalisations plastiques. Raffiné, le résultat est toujours obtenu à partir d’un procédé identique. L’artiste utilise dans sa production des objets, des motifs, des signes qu’il répète jusqu’à épuisement. Loin de lasser, cette base de travail engendre à chaque fois un plaisir renouvelé. La surprise est toujours au rendez-vous, elle s’invite à chaque fois sur ce canevas matriciel.

Les matériaux qu’il utilise, qu’ils soient iconiques ou linguistiques, sont simples, facilement manipulables. Ils se trouvent facilement. Ils s’achètent au supermarché ou se collectent après leur utilisation. Présents dans notre vie, omniprésents ils en deviennent invisibles.
L’artiste les utilise pour les réinventer. Signes de signes, mots de mots, logotypes archétypaux, typographies de feuilles de journaux, emballages, signifiants de signifiés, tout ce tintamarre, après avoir été récolté, sera travaillé, classé puis à nouveau conditionné pour devenir la trame de l’œuvre. Il en constituera l’ossature. Ces fondations ne sont pas cachées mais visibles, incontournables. Résultat et processus se confondent dans les pièces exposées. L’accumulation des éléments répétés forme une mosaïque.

Le procédé est simple mais les effets sont multiples. L’œil et attiré et l’esprit sollicité. Le but implicite des opérations est de dévoiler ce qui est généralement caché. Benjamin Sabatier explore des pistes nouvelles. En bon guide, il trace une route qui se referme derrière lui. Tel un explorateur traversant une jungle, la nature de ses découvertes se referme sur son passage.
Une fois le processus d’une œuvre mis en lumière, il passe à un nouveau travail, à un nouveau chantier. L’appétit vient en marchant. L’artiste évite les accidents de parcours en prenant soin d’abandonner sur le bas côté ses trouvailles. Intelligemment il refuse que ses processus deviennent des procédés de fabrication. Le faire-savoir l’intéresse plus que le savoir-faire. La répétition se trouve dans les œuvres pas dans le geste.

Derrière chacune des œuvres se cache une volonté farouche de comprendre notre monde. Au-delà des sculptures scotch, des bacs à glaçons traités comme des tentures, des moules d’emballages carton, il y a l’envie de parler de notre société, de dévoiler ses secrets, de montrer ses mécanismes. L’aspect plastique épaule cette mission. Le plaisir des yeux renforce ce pari.

Calqué sur les principes et les techniques de la grande distribution, Benjamin Sabatier vend des œuvres en kit, à réaliser soi-même. Il suffit de poser le patron sur le mur, de mettre 2000 punaises sur les points, l’image apparaît peu à peu. C’est au collectionneur de prendre le risque d’ouvrir le précieux coffret. Le paquet cadeau se transforme alors en boîte de Pandore.
Tandis que la forme apparaît, tandis que l’œuvre prend son envol et se déploie dans l’espace, elle perd du même coup sa valeur marchande, sa valeur d’échange. L’objet perd de son attrait une fois l’hymen consumériste déchiré. Le dépucelage de l’œuvre est à ce prix. Sa possession entraîne du même coup une perte. Une fois ouvert l’article n’est ni échangé, ni remboursé, ni repris. Le risque de l’art se paie cash.

Le modèle d’exposition, déballé, accroché, ne sera sans doute pas celui qui trônera dans le salon du collectionneur. Ce dernier préférera thésauriser et parier sur l’avenir plutôt que miser tout son tapis pour voir. En jouant le marché contre l’œuvre, la valeur d’échange contre la valeur d’exposition, l’acheteur joue à qui perd gagne. Le rapport à l’art ne peut passer que par une dépréciation, quelle qu’elle soit.
L’aura retrouvée est aussitôt altérée par son l’ouverture du package. L’oblitération du temps, la déchirure de l’emballage est un stigmate qui ne cicatrise pas. Le collectionneur est un joueur en puissance, plus qu’un jouisseur. Qu’il soit acheteur compulsif ou spéculateur avisé, il s’engage dans un processus qui laisse des traces. Pris au piège du système, il est le révélateur de la cote de l’art. Indice boursier à lui tout seul, il espère toucher des dividendes en évitant le crash. L’art est une valeur refuge bien capricieuse.

L’artiste se transforme en donneur d’ordre. Il troque sa figure de démiurge pour adopter les statuts d’une société anonyme. Sabatier devient une SA, une petite entreprise à lui tout seul. Il échange ses initiales contre celui de sa société artistique. SB devient I.B.K. La mutation se calque sur le même modèle montré dans ses travaux. Il disparaît pour mieux réapparaître. Il s’efface pour mieux endosser une nouvelle personnalité.
De personne physique il devient une personne morale, pour reprendre les termes juridiques régissant la vie commerciale. Il s’éclipse pour mieux souligner les flux marchands. Il révèle ce qui est caché. Sous les traits d’une société artistique de production et de service, il passe les objets d’art en fraude. Il s’affranchit des frontières artistiques pour mieux se répandre. Sa logique est celle de la démonstration, pas du tour de force. Il est un artisan qui joue sur les modes industrielles, mais sa production reste dans les limites du fait main. Il démontre et propose des kits uniques à bas prix mais à plus d’une centaine d’exemplaires.

Il nous oblige à penser l’œuvre d’art de sa conception à sa disparition. Avec les kits il refuse la création en externalisant sa production. Il n’est plus qu’un logo, qu’une marque, qu’une idée commerciale. Il délocalise la prise de décision. C’est à l’acheteur de choisir le moment et le lieu de l’œuvre d’art. C’est à lui qu’incombe cette tâche.

Chef d’entreprise utopique, maître de l’import export, du recyclage et de la répétition, SB & Co réalise des sculptures de sculptures, des moules de moules, des objets d’objets, des images d’images, des processus de procédés. Fourgue et chef d’entreprise à la fois, il parodie les circuits économiques de notre époque pour mieux les détourner. Warhol voulait être une machine, Sabatier lui est un flux. A suivre.

Benjamin Sabatier
Ibk’s Box I, 2006. Assemblage de cartons. Pièce unique. 30 x 57 x 66 cm.
Télérama II, 2007. Série «Bacs». Bacs à glaçons, bois et papier. 141 x 147 cm.
B-001, 2006. Ciment, patron et boîte en carton (8 éléments). Installation : 23 x 100 x 3,5 cm.
IBK’s Sctoch Tower II, 2007. Divers rouleaux de scotch et pvc. 240 x 16 cm.

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