PHOTO

Before and After

PClément Dirié
@12 Jan 2008

Before and After est comme un journal ouvert sur l’extérieur, un dialogue entre l’artiste et son environnement immédiat. Franck Scurti traite du résidu, de ce qui reste et de ce qui marque chacun. Qu’il le veuille ou non.

Franck Scurti, c’est sûr et c’est lui-même qui le dit, traite de l’actualité et du quotidien. Les objets qu’il prélève et qu’il confectionne sont des truchements « politiphores », au sens où ils permettent l’intrusion dans les signes porteurs de la cité et de la civilisation urbaine. Ils sont revendiqués comme des transmetteurs d’informations. Mais sont-ils seulement cela ?

En effet, Franck Scurti opère bien un choix et décide de déposer dans l’espace muséal uniquement ce qui retient son attention. Les objets ainsi exposés deviennent des signes et des messages. Ils témoignent d’une sensation du monde et de ce qu’il faut en dire.
De plus, il ne s’agit pas de présentations brutes, de simples prélèvements. L’artiste opère des changements, ou plutôt des « confections ». Il s’agit de tisser le réel et ce qui en est perçu, Scurti cite Breton pour qui il faut « se confronter au journal du jour ».

Ainsi, les éléments de la série Les Reflets sont-ils des enseignes lumineuses — celui d’une pharmacie, d’un tabac — qui balisent l’espace urbain et qui font ici l’objet d’une transformation, d’une altération — Ils sont comme mouillés, esthétisés et vidés d?une lecture univoque.
C’est sans doute là que nous conduit Franck Scurti. À une lecture équivoque et plurivoque du quotidien, à une réflexion sur le dessous des cartes, sur la fabrication des images.

Le Rideau est une coupe de la rétine démesurément agrandie, inspirée d’un article paru dans la presse quotidienne. Voir en grand les couleurs de l’œil, rendre fonctionnel par son emplacement dans l’exposition un organe humain devenu lieu de passage oblige à une nouvelle perception des choses, une nouvelle attention au détail.
De la même façon, Sans titre (Cool Memories) joue sur la perception, la perturbation de la vision. On y reconnaît d’abord un matériel, le denim, puis des formes : l’association du profil du Général de Gaulle et d’une carte de France et enfin un discours assumé par l’artiste autour du Plan Marshall.

Le travail de Frank Scurti est animé par une ambition réussie de réactivité par rapport aux faits fondateurs de notre civilisation, ou vis-à-vis de l’actualité quotidienne.
Cette réactivité veut laisser des traces, comme l’indique le titre de l’exposition qui reprend celui de l’œuvre Before and After : des chaises de jardin devenues chaises de musée sur lesquelles a été déposé d’un enduit bleu qui colore les habits des médiateurs du Palais de Tokyo. C’est encore la vocation de l’installation Laps que de laisser une trace, un témoignage : chaque jour un dessin de presse — la vision singulière d’un dessinateur — est reporté sur des tee-shirts dans un atelier installé dans l’enceinte même du musée.

Franck Scurti est fasciné par le dessin de presse, peut-être parce que, comme son travail, il met en exergue des faits précis. Avec de la musique et des variations tachistes et pointillistes, la vidéo Café Erika, basée sur un dessin de Plantu, traite d’un événement devenu récurrent comme en témoigne la récente marée noire consécutive au naufrage du Prestige. De façon poétique, comme pour conjurer le sort, elle présente une version fantomatique des oiseaux mazoutés. Avec elle, Scurti traite du maculé, il prend en charge la tache après la trace.

Telle est le sens de la vidéo-installation Colors. Sur les trois écrans défilent à l?envers du sens traditionnel (de droite à gauche, donc) les images montées rétroactivement d’un match de rugby où les visages et les tenues des joueurs sont recouverts de peinture. Convergence de la trace et de la tache : les corps sont maculés, la pluie se mêlant de la partie, par la peinture des publicités qui « décoraient » la pelouse du stade, traces de la société de consommation et de son omniprésence.

Lire l’entretien de Claire Jacquet avec l’artiste

Lire l’article sur l’exposition de l’artiste au Centre national de la Photographie

Franck Scurti
— Colors, 2000. Installation vidéo sur 3 écrans, Master Betacam, 6’.
— Café Erika, 2000. Installation vidéo, Master Mini DV, 5 séquences de 2’40. Musique : Pâques de S. Rachmaninov.
— Sans titre (Cool Memories), 1999. Denim. 37 x 40 cm.
— La Linea. Tractatus Logico-Economicus, 2001. Vidéo, Master CD-Rom, 2’15.
— Le Rideau, 2002.
— Before and After, 2002. Chaises de jardin, enduit bleu. Dimensions variables.
— Les Reflets, 2002. Série de 3 enseignes lumineuses.
— Laps, 2003. Atelier de transfert de dessins de presse sur tee-shirts.

AUTRES EVENEMENTS PHOTO