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Because The World Is Cruel

PLaura Bazalgette
@06 Juin 2009

L’œuvre d’Angelo Filomeno allie une maîtrise technique rigoureuse et élégante avec l’étrangeté d’un univers chaotique, morbide et  sourd. Le geste est ici absolument convoqué, précis et subjuguant. Avec virtuosité, il tisse  les motifs, les matières et les textures  à la manière d’un artisan.

Pour sa troisième exposition personnelle, Because The World Is Cruel, Angelo Filomeno présente  à la Galerie Anne de Villepoix de nouvelles peintures de soies brodées ainsi qu’une installation sculpturale en métal, bois et cristaux. L’ensemble étant distribué en trois espaces.

Affirmant une maîtrise technique remarquable, et oscillant entre une broderie traditionnelle à la main, et les moyens technologiques modernes, une machine à coudre, Angelo Filomeno propose une œuvre monstrueuse, étrange, inquiétante et douce. La broderie, le raffinement de cette technique, et l’élégance de la soie, se frottent à la violence cauchemardesque des motifs en présence et forts de symbole : crânes, squelettes, balais.
Avec virtuosité et poésie, il dessine des paysages désastreux, secs, désertiques, empreints de cauchemars enfantins, et des Pouilles, région du sud de l’Italie d’où il est issu.

Dans le premier espace, on est invité à découvrir trois peintures, noires, profondes, faites de soie et de brillants qui dessinent une constellation.
Sur deux de ces œuvres Shit Eating Skull With Rope et  This Sea Is Killing Me, on retrouve un crâne flottant, affublé de longues dents, tels des crocs et entouré de cieux noirs, signifiés par des cristaux disposés de façon régulière. La mort est omniprésente, sublime, silencieuse.

Ce crâne aux dents carnassières est un motif récurrent. On le retrouve dans le second espace de la galerie, cette fois doré, piqué de brillants blancs aux reflets roses, verts, et flottant sur un fond bleu roi. 
Cette œuvre intitulée Moon Dark, un tableau long, tout en  verticalité, présente des insectes, des cafards, des bêtes étranges et anciennes comme le lézard, mais également des papillons, des libellules, et un monde végétal florissant, des feuilles charnues et pleines, tout cela rampant vers ce crâne central.
La mise en lumière, la texture de la broderie fait de ce tableau une œuvre grouillante, vivante, mouvante. Comme un aplat du sol. C’est ici la pourriture, la déflagration du corps humain dévoré par les monstres, qui nous est donné à voir, mais également la renaissance.

Faisant face à ce tableau, de l’autre côté, une fresque intitulée Hautend Land Installation, composée de 16 tableaux de petits formats, détachés les uns des autres et composant un paysage déstructuré, hanté, fragmenté, déchiré. Sur les fonds  de couleur beige, sable, dont la matière est le lin, reposent des arbres  brodés, pelés, argentés  et s’enfonçant dans le sol. Leurs racines telles  des serpents ou des vermisseaux pénètrent la terre, et des animaux dont les corps se situeraient entre le loups et le vautour, guettent.
Les formes évoquent des rochers, des falaises, des icebergs, des terrains désertiques. Ici le balai annonciateur du désastre (et l’on ne peut s’empêcher de penser à la sorcière, volant dans les airs, assise à califourchon), objet retourné et planté au sol, au pied duquel gît un squelette humain, devient arbre et tronc.

Cette construction fine et fantastique est également présente dans les sculptures présentées.
Sur une petite table haute, dont la surface est en miroir sont posés côte à côte deux  sculptures nommées Intoxication (Door Stops),  de tailles et de constructions identiques, des pieds ou des «pattes», dont les extrémités sont des griffes, en acier inoxydable brillant. La lumière tapant sur le miroir reflète au mur les sculptures, telles des empreintes laissées  au sol, une fossilisation.

Enfin, dans la dernière salle, une impressionnante pièce qui donne son nom à l’exposition Because The World Is Cruel, un balai en métal et cristaux de trois mètres de long, repose sur une table dont la surface est miroir, une table d’autopsie.
Au-dessus, plongeante, une sculpture, résultat d’un assemblage d’une cinquantaine de balais  et fabriquée par les habitants à Ostuni, la ville natale de l’artiste, tient  accrochée à une chaîne par des anneaux, de ceux que l’on pourrait trouver aux abattoirs pour suspendre les morceaux de viande.
Une œuvre entre la carcasse et la plante qui se reflétant dans le miroir sortirait presque du sol. Juste à côté, on trouve Nine Moons, une variation sur la lune présentant neuf tableaux de formats  et de couleurs identiques.
 
De par le vocabulaire esthétique qu’il invente et l’usage d’une technique remarquable de précision, l’œuvre d’Angelo Filomeno convoque le sensible. Les motifs macabres, morbides, les zones de chaos se frottent à la douceur d’une étendue liquide ou d’une feuille naissante.
Les tableaux brodés deviennent des peintures de soie, et les sculptures des traces du passé. Mêlant à la crudité  des motifs  la beauté raffinée de son geste, l’œuvre d’Angelo Filomeno  explore la part sombre de la psyché et opère une synthèse entre une rigueur formelle engagée et une proposition artistique entière, pleine, et sans concession.

Angelo Filomeno
— Because the world is cruel, 2009. Un balai en acier et cristaux et 50 balais italiens sur une table avec piètement en bois et plaque de miroir, 300 cm le balais en acier, 200 cm par balais, 114 x 292 cm la table.
— Haunted Land: Fallen Witch, 2008. Broderie sur lin, 42,5 x 36 cm.
— Haunted Land: Two Almond Trees with a Relic, 2008. Broderie sur lin, 24 x 51 cm (9,7″ x 20″).
— Haunted Land: Two Vomiting Skulls, 2008. Broderie sur lin, 46 x 44,5 cm.
— Intoxication (door stops), 2007. Deux pieds en acier inoxydable, éd: 1/5 (+1AP), gauche (12,4 x 26,7 x10,2 cm), droite (9,2 x 28,6 x 11,1 cm), 1/5 (+1AP).
— Shit Eating Skull with Rope, 2008. Broderie sur soie et cristaux, 155 x 98 cm (61″ x 38,5″).
— This Sea is Killing Me, 2008. Broderie sur soie, 105,5 x 132 cm (41,5″ x 52,4″).

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