DANSE | CRITIQUE

Batracien, l’après-midi

PSmaranda Olcèse-Trifan
@27 Mar 2009

La pièce de Bernardo Montet se joue dans un dispositif minimaliste, le plus à même de faire retentir cette « dimension sensorielle quasi chamanique » recherchée par le danseur- chorégraphe.

Le plateau est vide, à l’exception d’une toile-drap-tâche rouge par la lumière s’y reflétant, qui va accueillir les spasmes et sursauts d’un corps indéfini, inclassable, à l’apparition médusante — voire insoutenable.

Un mélange de fascination et de répulsion nous fait suivre cette pièce. C’est le spectacle total d’un corps hystérique (dans sa traversée rampante de l’imaginaire contemporain) qui transforme le plateau en une excroissance de son être, le remplit de sa présence ambiguë, visqueuse, de sa respiration qu’on imagine aquatique, amplifiée par voie électronique, muée aussi du souffle terrestre saisi par des capteurs sismiques, création de la plasticienne sonore Lorella Abenavoli.

Dans un but simplement analytique et pour mieux déceler les différents plans sur lesquels se décantent les perceptions et se construisent les sensations, nous pourrions parler tout d’abord de l’apparence du danseur — de la manière dont il se détache dans l’obscurité et de son accoutrement tout en dessins reptiliens —, puis de sa consistance — le corps, la respiration, le souffle — et finalement de sa présence — la raison intime de son être dans l‘espace-temps de cet Après-midi. Mais la catégorisation ne tient pas car dans cette pièce, comme dans toute expérience corporelle, ces différentes dimensions sont entremêlées. Parler de l’apparence, c’est évoquer la présence lourde et compacte qui magnétise un point sur le plateau noyé dans l’obscurité. Quand un rayon de lumière de biais la fait apparaître, cette présence lourde, c’est tout d’abord la consistance de ce corps qui nous saisit. Il y va de la massivité, d’une corpulence interloquante. Il y va tout autant de la respiration qui fait se mouvoir les chairs.

Dans la toute première image de la pièce, la lumière se pose sur une masse recroquevillée sur elle-même et en train de frémir lourdement, sourdement. Ces frémissements dépassent les contours d’une chair en excès et déferlent sur le plateau dans les jeux troubles de lumière et d’obscurité, dans les palpitations de la couleur étayée sur les draps, dans la persistance des nappes de sons. Ces frémissements se retrouvent dans les mouvements et déplacements du corps et évoquent une certaine porosité des membranes corporelles qui semble trouver son origine dans les dilatations rythmiques de la cage thoracique et du ventre.

L’insolite de la présence de ce corps nous abasourdit quand il s’expose, avec les minutieux dessins d’un costume qui colle à la peau, scintillant dans la lumière crue par moments du plateau. La référence à l’Après–midi d’un faune de Nijinski est revendiquée de par le titre même de la pièce. Mais plus encore, cette sensation de trouble perplexité vient du fait que nous assistons à la performance d’un corps qui incarne tout un bestiaire — allant de l’informe à l’humain, de la laideur à la beauté, de l’indigne au divin —, d’un être transgressif qui se meut dans un monde issu de sa respiration démesurée dans laquelle il consiste tout entier.

— Chorégraphie : interprétation Bernardo Montet
— Lumière : Laurent Matignon
— Création électroacoustique : Lorella Abenavoli
— Costume : Rose-Marie Melka assistée de Fabrice Herbet

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