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Barbara Breitenfellner & Eléonore de Montesquiou

PStéphanie Katz
@12 Jan 2008

La galerie Zürcher présente un duo féminin. Deux jeunes femmes nées l’une et l’autre au début des années 70, travaillées par les thématiques du nomadisme, presque du déracinement, interrogent chacune à sa façon la question douloureuse de l’identité.

De L’Autriche où elle est née, à Berlin où elle vit aujourd’hui, en passant par Mayence, Glasgow, Copenhague ou Omaha, la vie de Barbara Breitenfellner aura été jusqu’à aujourd’hui celle d’une nomade du nord.
Elle conserve de cette stratégie du déplacement un des principes essentiels du vagabond: voyager léger. C’est sans doute cette logique de l’allègement qui l’aura poussée, non pas à s’alourdir d’un style personnel, mais plutôt à interroger ce qu’elle retrouve à chacun de ses atterrissages: le site de l’exposition.

Qu’est-ce que cela signifie que d’exposer ses créations? Les œuvres ainsi promenées dans le monde doivent-elles nécessairement affirmer une signification, un style, une démarche repérable, toujours fidèle à elle-même? Qu’est ce qui fait la différence entre une exposition d’œuvres d’arts et un cabinet de curiosités qui rassemble des objets hétéroclites, qui ont pour seul lien d’avoir été sélectionnés par la même individualité?
Autant de questions qui servent de fil rouge aux propositions de Barbara Breitenfellner, depuis ses installations pour «We Should Have Occupied Every Place» (Saint-Etienne, 2005), «Opinions informes» (Bétonsalon, Paris, 2006), ou ce mois-ci à la galerie Zurcher.

S’en suit un travail qui soigne sa présentation, usant du présentoir, de la vitrine ou du sous verre. Mais surtout une proposition qui met littéralement en abyme la logique de l’exposition, en disposant sur des tables noires des «œuvres» qui sont elles-mêmes des expositions, dans le sens ou elles mettent en places un jeu de superposition et de feuilletage qui dissimule autant qu’il montre.

Car, tout bien réfléchi, qu’est-ce qu’une exposition si ce n’est un convivial jeu de cache-cache, que se propose l’artiste et le visiteur: l’un se présente, l’autre décode, puis le premier s’échappe, pour que le second puisse mieux projeter sa propre intimité dans une interprétation toute personnelle de l’œuvre. Alors à quoi bon proposer des œuvres, autant insister sur cette dynamique contradictoire du montrer-cacher.
C’est sans doute dans cet esprit qu’il faut interpréter ces petits modules qui s’amusent du feuilletage, de la superposition, du médaillon qui fonctionne comme le trou de la serrure à travers lequel nous observons toujours ce qui nous intrigue.
Tout un jeu du dessus-dessous, d’exhibition-dissimulation, qui conjugue des photographies noires et blanches d’une utopie de bonheur, représentant des individus heureux et nus en communion avec le soleil et la nature, et des dessins, repris de livres de sciences naturelles, de têtes de serpents, serres d’oiseaux, chiens hurlant ou chauffe souris. Quelques choses de la poésie offensive et noire d’un Lautréamont ou d’un Max Ernst apparente cette esthétique à un certain surréalisme. Un peu plus loin sur le mur, un cadre-boîte fait office d’œuvre manifeste: un singe en plomb (qui n’est pas sans faire penser à l’autoportrait en singe de Chardin) se tient derrière une vitre maquillée en grille à oculus, comme pris au piège par le jeu de l’exposition. L’exposition, ou la mise au zoo de l’artiste? Pour Barbara Breitenfellner, il n’y a certainement qu’un pas.

Avec Eléonore de Montesquiou, l’identité de l’artiste ne se veut plus fuyante, mais plutôt décalée, comme déléguée, diluée dans son sujet. Sujet tendu entre secret et démonstration, puisqu’il s’agit de trois films, un jeu d’affiches, et deux livres, qui traitent de sa rencontre avec deux villes fantôme de l’ex Union Soviétique: Sillamaé et Paldiski, les «Atom Cities».
En effet, de 1944 à 1991, Sillamaé et Paldiski furent des villes closes et secrètes aménagées à des fins de recherches nucléaires. Effacées des cartes soviétiques, elles étaient habitées par des russes et fermées aux Estoniens. Depuis l’indépendance de l’Estonie en 1991, les usines secrètes ont fermé, et la raison d’être de la ville s’est évaporée. C’est avec ces changements d’orientations que la question de l’identité des habitants s’est posées sur un mode singulier: alors que les russes vivaient là depuis plusieurs générations comme sur une île oubliée du monde, ils sont aujourd’hui minoritaires et marginalisés sur un territoire qu’ils éprouvent comme celui de leurs ancêtres et de leurs origines. Or, on ne peut pas avoir pour origine un secret d’état.

Aujourd’hui, quand les russes de Sillamaé interrogent leur héritage, ils se trouvent face à un trou noir de l’histoire, une absence de récit fondateur, un enfouissement de leurs sources. C’est ce que nous montrent les trois films présentés par Eléonore de Montesquiou.
Le premier est un portrait de ville, qui nous mène d’images d’archives de Sillamaé, à des séquences contemporaines, filmées avec distance et discrétion dans les rues de la ville.
Le second, présentant les commémorations qui célébraient le 60e anniversaire de la victoire de l’armée soviétique sur les troupes allemandes en 1945, révèle une ambivalence au sein de la population locale: alors que, pour certains, cette date s’apparente au triomphe d’une armée héroïque, pour d’autres, elle renvoie à la triste mémoire de l’occupation de l’Estonie par le pouvoir soviétique.
Le troisième film apparaît comme le point final d’un parcours, puisqu’il correspond au témoignage individuel d’une jeune russe vivant difficilement cet effacement des origines, éprouvant cette rupture jusque dans sa vie familiale. Si bien que du portrait de la ville au portrait de la jeune fille, en passant par les ambiguïtés dissimulées sous l’exaltations des combats héroïques, c’est tout un parcours initiatique que nous accomplissons. De l’histoire collective jusqu’à l’histoire singulière, la question du secret, de la parole refoulée, du dénie d’existence et de réalité donne toute sa dimension à ce triptyque en forme de quête identitaire.

L’ensemble se pare d’une teinte particulière quand, au détour d’un générique, on découvre que Eléonore de Montesquiou est elle-même partiellement estonienne. A travers les œuvres de Barbara Breintenfellner à Eléonore de Montesquiou, ce sont toutes les générations d’apatrides d’hier et d’aujourd’hui qui cherchent à retisser pour elles-mêmes la trame d’un territoire d’origine. Car on ne saurait transmettre sans avoir soi-même reçu.

English translation: Laura Hunt

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