PHOTO | CRITIQUE

Bab-El-Louk

PLaura Houeix
@06 Juin 2008

Bab-El-Louk, 5 h 45. L’appareil photo de Marie Bovo est là, perché au sommet du toit d’un immeuble du Caire, scrutant la vie qui défile, heure par heure. Il sera là demain encore, pour observer comment le soleil joue sur chacun des murs de la ville, pour dire combien ruelles et rues se transforment imperceptiblement, dans ce laps de temps universel, du coucher au lever du soleil.

Cinq grands formats, de nuit, de jour, toits, paraboles, fils électriques, ruelles, déblais. Une plongée lente et patiente dans le désordre d’une ville en mouvement. Mais ici, le mouvement, ce n’est pas celui des hommes et des femmes qui peuplent ces rues encombrées, ce sont des immeubles et des murs, des lumières et des ombres qui font vivre ces architectures bigarrées.
Les humains ne sont que des traces fantômes, la vie se devine mais ne se montre pas. Comme un oiseau perché sur un fil, Marie Bovo contemple, découpe le temps dans sa lenteur universelle, prend chaque infime détail pour montrer le changement.

Rien de perceptible de prime abord, juste cet enchevêtrement sans perspective de toits d’immeubles submergés par le désordre et les gravats. Une image saturée, où les détails fourmillent, où l’on entre dans une rue pour se laisser porter dans les plus petites ruelles de Bab-El-Louk.

Mais rien n’oblige à entrer dans ces immenses formats, et à vouloir s’y perdre. Bien qu’ayant moins de définition que les photographies d’Andréas Gursky, ces clichés de Bab-El-Louk sont habités par ce même principe de répétition, à cela près que l’appareil photo de Marie Bovo nous prouve que les choses changent, cycliquement, se répètent mais ne se ressemblent pas, que ce qui semble figé n’en est pas moins vivant, qu’il faut entrer dans cette matière pour en saisir les singularités.

De la subtilité de la lumière sur les pans de murs grisés, des traces fuyantes des phares d’une voiture, il n’y a dans ces photographies, ni culture, ni signe, ni geste, juste de la couleur et de la lumière. À l’image des peintres de l’abstraction américaine, Marie Bovo montre son geste, celui de déclencher, spontanément, en concordance avec un temps qui lui est propre. Et ce temps si particulier, est celui de l’attente, apologie de la lenteur, de la rêverie.

Dans le Tube de la galerie Kamel Mennour, Marie Bovo impose encore son rythme, avec une installation sonore distillant en langue arabe un poème de Kadhim Jihad Hassan, Chant cinq, sur fond de décomposition florale. Des lys se fanent en accéléré, dans la lenteur de la diction poétique. Thème «ronsarien» s’il en est, mais, là encore, une autre dimension se laisse entrevoir, plus politique et pacifiste.

Marie Bovo
— 05h45, Bab-El-Louk, 2006. Photographie couleur. 153 x 208 cm
— 12h07, Bab-El-Louk, 2006. Photographie couleur. 153 x 208 cm
— 16h42, Bab-El-Louk, 2006. Photographie couleur. 153 x 208 cm
— 18h50, Bab-El-Louk, 2006. Photographie couleur. 153 x 208 cm
— 19h07, Bab-El-Louk, 2006. Photographie couleur. 153 x 208 cm
— 21h20, Bab-El-Louk, 2006. Photographie couleur. 153 x 208 cm
— 23h36, Bab-El-Louk, 2006. Photographie couleur. 153 x 208 cm

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