ÉCHOS
28 Jan 2015

Autocensure au Pavillon Vendôme de Clichy: du «Silence» de Zoulikha Bouabdellah à l’inertie du maire

Pg_Obadia16LuChao01bMonument
@

Le retrait d’une œuvre de l’exposition"Femina ou la réappropriation des modèles" par crainte d’incidents pose la double question de la gestion de la liberté d’expression dans un contexte post-attentats mais encore du soutien des pouvoirs publics en pareilles circonstances.

Durant l’accrochage de sa nouvelle exposition, la direction du centre d’art du Pavillon Vendôme a été averti par la Mairie de Clichy-La-Garenne d’un courrier de la Fédération des associations musulmanes de la ville (la FEDAM Clichy) les mettant en garde contre d’éventuels «incidents » liée à la programmation prévue. L’association s’inquiètent de débordements et demande, par mesure préventive, l’annulation de l’événement culturel. En cause, une pièce de l’artiste franco-algérienne Zoulikha Bouabdellah intitulée Silence (quelle ironie!): des tapis de prière découpés en leurs centres où sont posés des paires d’escarpins dorés. Créée en 2007-2008, la pièce a été déjà montrée plusieurs fois, à travers le monde, sans aucun souci.

Mais dans un contexte post-attentats, les susceptibilités exacerbées, les obsessions sécuritaires et la libéralisation des discours extrêmes ont hystérisé le débat autour du droit du blasphème en art, au point que la FEDAM se pense légitime dans sa revendication. Or, non seulement le travail présenté n’a pas la teneur d’une transgression d’un des piliers de l’Islam (rien dans le coran n’interdit de détourner un tapis), mais quand bien même il l’aurait, la loi française protège et garantit le droit au blasphème.

Suite à cette mise en garde, aux allures de menace à peine voilée, le maire de Clichy, Gilles Catoire, n’a pourtant pas imposé de mesures particulières, concernant la sécurité du centre d’art (des œuvres, du lieu comme de ceux qui y travaillent). Face au manque de soutien et d’engagement des pouvoirs publics, les commissaires et l’artiste se sont concertés pour décider de la suite à donner. Face au risque, potentiel, réel ou apparent d’incidents, mais encore face aux risques de récupération politique et d’incompréhension quant au propos de l’œuvre (qui ne cherche pas à choquer mais à interroger la difficulté à être à la fois femme et musulmane), Zoulikha Bouabdellah a décidé, à regret, de décrocher son œuvre et de la remplacer par une autre, Dansons, accompagnée d’un texte faisant état de la situation.

Les réactions des autres artistes exposés ne se sont pas faites attendre. Orlan la première a diffusé une lettre ouverte s’insurgeant contre cette manifestation d’autocensure, demandant à ce que son œuvre soit retirée de l’exposition, bientôt rejointe par Stéphane Magnan (directeur de la Galerie des filles du Calvaire) prêtant de nombreuses pièces à l’exposition. Afin de préciser leur position, les commissaires ont publié à leur tour un communiqué, co-signés par la plupart des artistes, dans lequel ils affirment leur opposition à toute censure et accuse les autorités de se défausser sur la question. La décision d’informer au dernier moment le commissariat de l’existence d’une lettre de menace et celle de ne pas prendre de dispositions en conséquence peuvent en effet être interprétées comme une forme d’abandon de responsabilités. Chacun demande donc au maire de prendre une décision ferme et définitive: soit l’exposition est présentée dans son intégralité — cela suppose de donner au centre les moyens de sa sécurité — soit celle-ci doit être tout simplement fermée.

En attendant la décision du maire, les œuvres ont été décrochées et posées au sol, prêtes à être déménagées, sans que l’exposition soit pour autant fermée au public. Entre annulation et restitution de l’œuvre en cause, le maire, qui s’est targué dans un communiqué de ne pas intervenir dans les programmations culturelles, devra choisir, à moins que des raisons électoralistes ne viennent en parasiter l’issue. Il n’est en effet pas à écarter que l’inertie du maire ait à voir avec la perspective d’élections anticipées et avec la nécessité de ne pas froisser l’électorat musulman, qui représente une réserve de voix considérable. Entre politique culturelle, droit et stratégie politicienne, Monsieur Catoire peut seul débloquer la situation, avec une réponse rapide et tranchée.

Cette affaire permet de mettre en lumière la nécessité forte et continue d’une médiation et d’un dialogue  entre la culture, qui manipule des symboles collectifs, et la société civile qui en fait usage. Si l’exposition réouvre dans de bonnes conditions, Guillaume Lasserre, le directeur du pavillon Vendôme, a indiqué vouloir mettre en place cet accompagnement pédagogique et faire de cette mésaventure l’occasion d’ouvrir le débat et de repenser la problématique culturelle dans un contexte sensible.

AUTRES EVENEMENTS ÉCHOS