LIVRES

Ateliers 1997-2001

Catalogue rétrospectif de la jeune génération de photographes accueillie depuis six ans aux ateliers du Cnp. Année par année, présentation des artistes avec illustrations, textes de critiques d’art, biographie, bibliographie. Un panorama non exhaustif, riche et varié.

— Auteurs : sous la direction de Régis Durand et Claire Jacquet
— Éditeur : Centre national de la photographie, Paris
— Année : 2002
— Format : 27 x 21 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 141
— Langue : français
— ISBN : 2-86754-129-8
— Prix : 30 €

En parcourant l’atelier
par Régis Durand

Dès 1997, le Cnp a souhaité se doter d’un dispositif plus léger et plus souple que celui qu’autorise l’espace principal d’exposition. Rien d’original à cela, la plupart des institutions disposant en effet, sous une forme ou sous une autre, d’un project space, indispensable à la présentation, notamment, de jeunes artistes.
Cet espace n’étant pas au départ matérialisable, nous avons dû l’inventer à l’intérieur de l’espace disponible — parfois dans deux salles à l’extrémité du parcours, parfois dans la salle de projection et la salle attenante. C’est sans doute pour cela (mais pas seulement) que nous avons toujours envisagé l’Atelier comme un dispositif général de soutien à la création, et non comme la simple désignation d’un espace. Faisaient (et font encore) partie, dans mon esprit, de l’Atelier : le journal du Centre et sa double page centrale commandée à un artiste (avec le mécénat de la Caisse des dépôts et consignations); les projets sur ou hors les murs (affiches, bâches, bannières, etc.), ainsi que des projets extérieurs soutenus par nous.
Naturellement, de tout cela, c’est la partie la plus visible (l’espace d’exposition) qui a pris le pas sur le reste, et cela d’autant plus que cet espace est maintenant matérialisé de manière permanente par les nouveaux locaux ouverts à l’automne 2000. Mais l’Atelier ne saurait se ramener à cela — un espace aux caractéristiques données, qu’il convient de programmer à raison de sept ou huit expositions par an.

En même temps, il faut savoir résister à la séduction diffuse d’une telle notion prise dans un sens élargi, qui conduirait, si l’on n’y prenait garde, à fétichiser une vision quelque peu romantique de la création. Les artistes nous y aident (à résister), dès lors qu’ils nous montrent à quel point leurs méthodes de travail ont changé et changent sans cesse, devenant de plus en plus affaire mentale, affaire de déplacements, de projets et de transferts sous une forme ou sous une autre. De ce point de vue, la série des films Contacts, que le Cnp coproduit avec Arte et KS Vision ne fait pas autre chose que de nous plonger dans l’atelier des artistes, non plus nécessairement la chambre noire et les planches-contacts en tant que telles, mais dans la démarche et la pensée au travers desquelles s’élaborent les œuvres d’aujourd’hui.

Francis Ponge a écrit sur l’idée d’atelier quelques pages merveilleuses, qui éclairent et critiquent à la fois cette notion (dont il généralisait en même temps la pratique pour lui-même, en faisant suivre chaque grand recueil de son « atelier », c’est-à-dire du chantier de références, d’idées, de repentirs et de variantes dont il était issu.
Il ne s’agit pas ici, pas plus que dans l’Atelier (le nôtre), d’une esthétique du work in progress, ni d’un attachement fétichiste aux marques et aux chutes du travail (essais, abandons, repentirs, etc.) Il s’agit plutôt, dans le texte en question, de tenter de dire (indirectement, poétiquement) quelque chose d’un espace à la fois concret et abstrait. L’atelier, observe Ponge, apparaît comme un foyer lumineux dans la nuit de la ville. Ce n’est pas un signal, ni une vigie, plutôt une phosphorescence, une lueur résultant d’un échauffement, d’un frottement — comme une ampoule ou une vésicule, qui gonflent et luisent : « Il semble que l’épiderme de la ville ait été là, par places (à ces endroits), aminci, atténué à l’extrême, et que la chair n’en soit protégée plus que par une pellicule des plus fragiles » [Francis Ponge, « L’atelier », Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p.759-762]. C’est là une image surprenante, paradoxale, mais étonnamment juste de la place de l’artiste dans la cité, « comme une variété d’ampoule, entre verrière et verrue », à travers laquelle se joue « une dialectique subtile de l’usure et de la réparation (voire de la fabrication) », devant laquelle se croisent envie de contempler et envie de détruire.
Les métaphores sont faites pour être empruntées et abandonnées une fois leur part de travail (de transport) effectué. Celle-ci éclaire encore un peu, même si les choses changent très vite.

Au sujet des artistes exposés au cours de ces cinq années dans l’Atelier, et qui sont présentés ici, il y aurait beaucoup à dire. Leur énumération ne constitue pas la dream list de tout curator dans le vent, mais elle semble ne pas manquer de justesse, et de toute manière nous l’assumons, car elle fait sens. Les expositions ont parfois servi à faire aboutir un projet, parfois à faire découvrir un artiste. Les plus réussies ont sans doute été celles qui arrivaient au bon moment pour l’artiste, rendant compte d’une étape du travail et, dans certains cas, lui donnant une impulsion décisive.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions du Cnp)