ART

As it is and not as it should be

PPaul Brannac
@29 Juil 2011

Nick Devereux dans ses toiles cherche une force. Une force première, antérieure, et finalement disparue, mais dont il pressent, comme en toute chose disparue, qu’il reste quelque chose, quelque part; une onde. Et c’est pourquoi son art, d’abord, est archivistique

C’est par l’archive, plus que par l’archéologie, que Nick Devereux constitue ses œuvres, et c’est toute une méthode qui s’esquisse à rebours de ses œuvres finies. Car une fois finies en effet, un vernis, un glacis, quelque chose de léché en somme, vient ternir leur surface en strapassant. Nick Devereux force, par exemple, l’expressivité de ses fusains (la série All Nowhere Gone, 2011) — il force la force pourrait-on dire — comme pour bien faire sentir comme il domine son métier, comme il sait ses académies, sans pour autant atteindre à la radicalité de Luis Caballero, avec lequel il partage l’attachement aux traditions maniériste et baroque.

En ce sens, si le complexe hommage qu’Ivo (2011) rend au Conical Intersect (1975) de Gordon Matta Clark présente quelque intérêt quant à sa genèse, ce néo-tondo, tant par la facture que par l’effet, semble un échec quasi complet: il y a trop dans ce rendu, et ce trop est trop peu pour la peinture; Ivo rappelle en cela Friedrich et sa Mer de glaces.

C’est donc moins au fini des œuvres de Nick Devereux qu’il convient de porter l’œil, qu’à ses cheminements qui, parfois, outrepassent heureusement le fini. C’est le cas notamment de la série Untitled (Bragolins III, V, II) (2011), qui prend pour support ces détestables portraits d’enfants pleurant sans morve, peints après-guerre par Bruno Amadio à Venise, et dont les copies se sont soudainement étalées sur les murs des pizzerias du monde entier en même que les non moins détestables verres de Murano sur les tables basses de toute l’Europe.
Ici, Devereux réussit son «tour de force»: en substituant aux poupins visages d’anthropophages figures de papier origamé, l’artiste non seulement nuit au kitsch de ces représentations, mais substitue au pathos de leurs faces une mélancolie véritable, une étrangeté certaine, bref, un sentiment. Il é-face, et par cet effacement, par l’abstraction, touche quelque chose qui ne se pouvait figurer.

Ainsi Nick Devereux s’empare-t-il d’abord de l’archive. En la matière, il incline d’ailleurs à celles que les guerres ont détruites. Ce peut-être une fresque de Tiepolo Untitled (C.N. 1890), une toile de Langetti jointe à une autre de Poussin (Hubris, 2011), ou bien des photogrammes de Life of Villa (1912), le premier film semi fictionnel de Raoul Walsh sur la vie du général mexicain Pancho Villa Version (Raoul Walsh 1914) de 2011.
De ces imagos, Nick Devereux tire alors, alternativement, d’abstraites sculptures qui en décèlent la composition — les lignes de force —, sculptures qu’il répète ensuite en deux dimensions sur les reproductions, ou bien colle sur celles-ci des photocopies qui mettent en évidence, par amoncellements, leurs analogies dynamiques.

Méticuleusement, Nick Devereux dépouille ses archives d’art, les met à nu, puis, de manière non moins méticuleuse, les brouille de nouveau en les parant de leurs oripeaux même. Sa topographie est trouble en vérité. L’artiste semble d’ailleurs avoir le goût de l’écorchement à tous les degrés, puisqu’il emprunte à Langetti le thème du supplice de Marsyas, aède écorché par Apollon pour une rivalité musicale, et à Poussin celui du martyr de saint-Erasme qui refusa d’adorer en son image la force d’Hercule. En restituant de la sorte à chacune de ces images perdues les écorchures qui les font, fondamentalement, comme des œuvres et non seulement comme des images, Nick Devereux les abstrait en fait de leur sujet, et les rend paradoxalement à la peinture.

A ce jeu, la pureté gagne certes quelque chose, mais s’égare presque aussitôt dans sa pure monstration, qui appelle la pure contemplation, celle qui ne médite pas, et que l’on nomme ennui. A ce jeu donc, la peinture de Nick Devereux se satisfait progressivement, troque le drame pour le spectacle, et laisse dépérir la vraie seule force de l’art — de n’importe quel art: la tension.

Å’uvres
— Nick Devereux, 
Ivo I, 
2011. Huile sur toile. 170 cm de diamètre
— Nick Devereux, Untitled (Bragolin III), 2011. Pastel sur impression jet d’encre pigmentaire. 83 x 65 cm
— Nick Devereux, Version (Raoul Walsh 1914), 2011. Pastel sur impression jet d’encre pigmentaire. 140 x 198 cm
— Nick Devereux, Hubris, 2011. Peinture. 201 x 300 cm

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