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Art et philosophie, ville et architecture

Les rapports entre l’art et l’urbain. Des interventions d’artistes, d’architectes, de philosophes, d’urbanistes, etc. découpées en quatre thématiques, pour délimiter le champ critique, mettre en avant les relations entre les différentes pratiques et réflexions, et ouvrir le débat.

— Auteurs : Sous la direction de Chris Younès : Martine Bouchier, Amor Cherni, Jean-François Chevrier, Henri Gaudin, Catherine Gfeller, Benoît Goetz, François Guery, Alain Gunst, Jean-Marc Huygen, Gaëtane Lamarche-Vadel, Philippe Madec, Michel Mangematin, Nicolas Michelin, Rémi Papillault, Daniel Payot, Laurent Reynès, Christian Ruby, François Seigneur, Maria Grazia Tolomeo, Thierry Verdier, Annette Viel
— Éditeur : La Découverte, Paris
— Collection : Armillaire
— Année : 2003
— Format : 13,50 x 22 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Pages : 300
— Langue : français
— ISBN : 2-7071-4148-8
— Prix : 26 €

Préambule
par Chris Younès

L’articulation de la ville et de l’architecture à l’art, leurs implications et explications sont en débat. Les pratiques d’artistes, d’architectes, comme les discours constitués y référant, font apparaître que se superposent et se brouillent les secteurs d’intervention et les limites des champs respectifs. Ces télescopages procèdent par rapprochements, interfaces, différends, captages de regards et de territoires, procédures mentales et formelles de détournement, mixages, transferts, inventoriant et inventant de nouvelles formes d’expression. L’architecture et la ville potentialisent ces dynamiques, car elles relèvent de disciplines et techniques surdéterminées et complexes, environnementales, territoriales, urbaines, paysagères, économiques, sociales, constructives… mais, fondamentalement, elles participent de l’art d’accueillir les pratiques et de donner corps à la tension entre dehors et dedans, ombre et lumière, public et privé, quotidien et exceptionnel, sacré et profane, ouverture et fermeture, vide et plein…
Ce qui est en jeu dépasse l’esthétique formelle et surmonte la banalisation positiviste. À travers des productions artistiques se manifeste, dans la saisie primordiale de l’ouvert, l’énigme existentielle en son unité indissoluble du sens et du sentir. Dès lors qu’il s’agit des établissements humains, la question est celle de la rencontre entre éthique comme manière d’être et esthétique comme vérité du sentir. C’est ce point de rencontre qui va maintenir et ménager la traversée des existences, dans la maison la plus pauvre, la rue la plus ordinaire, ou les aménagements les plus recherchés. Il est donné alors une certaine façon de se tenir au monde. Car l’existence n’est pas un acte abstrait. Incarnée, elle est exposée à des moments critiques, à des rythmiques qui suscitent le recueil et le déploiement de la présence ou sa déréliction.
Le nouage entre art, architecture, ville, paysage, territoire affronte les processus de constitution de nouvelles formes d’être au monde, qu’elles révèlent et expérimentent. Cette confrontation est un creuset, un maillage de la modernité actuelle qui tend paradoxalement à privilégier ou masquer la rencontre à la fois avec le monde contingent, à savoir ce qui apparaît dans l’instant, ainsi qu’avec la chose publique liée à la démocratie et à ses espaces. Si la réalité urbaine échappe à toute théorie générale modélisante ou prescriptive, elle est dans ses proliférations le champ d’expériences et de productions inédites qui sont à penser.

Le réseau Philosophie Architecture Urbain, réunissant des disciplines et des pratiques différentes, a consacré sa 7e rencontre à interroger ce qu’il en est des articulations entre art, philosophie, ville et architecture. L’ouvrage qui en est issu est construit en quatre séquences. Tout d’abord un cadrage est effectué sur l’art en tant qu’il dévoile, amène à parution, « ce qui est » dans l’épreuve du monde, et ce à partir de différents modes de production artistique. De moments critiques en moments critiques, le sujet est mis en demeure d’être au plus près du sentir et du comprendre. Sont mis en juxtaposition le regard ontologique et celui du beau et de l’utile.
Dans une deuxième scansion, une mise en perspective réflexive permet d’appréhender le déplacement des limites des savoirs, le nomadisme des concepts et des pratiques entre champs respectifs. Sont envisagés dans quelles mesures espace, temps et formes d’expressions sont solidaires des évolutions sociales et techniques. Dans ces phénomènes, des visions du monde en profondes transformations sont enjeu. Ces explorations dépassent le stade des analogies pour ouvrir une réflexion sur les configurations qui constituent des conditions d’existence qui témoignent d’une culture, d’une époque, mais aussi d’un art protéiforme.
La troisième séquence explore plus particulièrement comment le travail des artistes, architectes et urbanistes se développe autour de la ville, du paysage et de la temporalité. Le sens et la valeur de l’habitation d’un être-en-urbain y sont mis à nu alors même que, pour la première fois dans l’humanité, ni l’architecture ni la ville ne peuvent se référer à une fondation initiale.
Enfin, dans un quatrième mouvement, l’art des établissements humains est considéré dans sa spécificité, dans la mesure où il accompagne toute existence en croisant topos singulier ou situation, logos comme parole et rapport qui donne sens, et aisthesis ou contact qui relie. Leur entrelacs aiguise et accomplit la « signifiance insignifiable » dont l’expérience poétique est une figure intime et extime fondamentale. Il s’agit d’expliciter ce qu’il en est de l’art urbain et architectural du point de vue de leurs développements propres en tant qu’ils établissent des rapports entre des réalités différentes et engagent chacun dans l’événement de l’existence et de la coexistence.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions La Découverte)