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Art Basel. Marie-Sophie Eiché (Kamel Mennour)

Interview
Par Pierre-Evariste Douaire
Marie-Sophie Eiché
Directrice de la Galerie Kamel Mennour

La galerie Kamel Mennour est présente à la foire de Bâle depuis quelle année?
Marie-Sophie Eich. La première fois c’était en 2003. Nous étions dans la section “Statements”. Pour y exposer il faut proposer un projet d’artiste. Nous y sommes allés avec Kader Attia. Il présentait une installation comprenant une vidéo et des photographies. C’était son premier projet. Nous sommes revenus la deuxième fois en 2005, toujours dans la même catégorie, mais avec Christine Rebet cette fois là. Le projet était très beau, il mélangeait dessins et animation. Comme nous n’avions pas été sélectionné l’année précédente, nous avions rattrapé notre retard en étant présent à “Art Unlimited” qui permet d’exposer des pièces importantes. Kader Attia avait fait sensation. Sa pièce avait été très remarquée.

Cette année vous innovez en vous confrontant à la section “Art première”.
Marie-Sophie Eich. Ce secteur consiste à confronter deux artistes sur le même espace. Nous avons proposé au comité de sélection Adel Abdessemed et Daniel Buren.

Qui a formé ce duo? Les artistes eux-mêmes ou la galerie?
Marie-Sophie Eich. C’est la galerie qui est à l’origine de la rencontre. Nous travaillons avec Adel Abdessemed depuis deux ans, Daniel Buren nous a rejoint cette année. Séparément, nous leur avons demandé s’ils accepteraient de travailler ensemble. Ils ont tous les deux accepté. L’idée les enchantait. Ils s’étaient rencontrés plusieurs fois sans penser à collaborer. Chacun connaissait le travail de l’autre. Le projet est resté secret jusqu’à ce que le dossier soit sélectionné.

Décidément, c’est l’année des collaborations pour Daniel Buren.
Marie-Sophie Eich. C’est l’année des coï;ncidences. Les projets qu’il réalise se font à quatre mains cette année. Nous avons été heureux d’apprendre qu’il travaillerait avec Xavier Veilhan pour l’exposition “Airs de Paris” à Beaubourg. Nous étions ravis, car la galerie voulait aussi pousser cette logique.
La rencontre de deux artistes, de deux générations, est très intéressante à observer. Actuellement Daniel Buren a aidé Sophie Calle à monter son exposition pour le pavillon français de la Biennale de Venise. Il est intervenu comme commissaire et non comme co-auteur. Ça aussi c’était une bonne surprise. Comme deux cents autres il a répondu à la petite annonce de Libération. Vu le résultat, je pense que Sophie Calle a fait le bon choix.

Quelle était l’idée de départ de la collaboration?
Marie-Sophie Eich. Adel Abdessemed travaillait sur la troisième version de la sculpture qui est présentée sur le stand. Ce sont des forêts de perceuse géants, taille humaine, en marbre noir. La première version s’intitulait Travaux, elle comptait sept pièces.
Pluie noir a ensuite été montrée au Plateau, à Paris, elle comptait cinquante et une mèches. Or noir est la dernière mouture de ce travail. L’installation se chiffre à vingt trois éléments, plus hauts que les précédents. Adel Abdessemed voulait montrer ce travail. C’est avec ce point de départ que nous avons interrogé Daniel Buren. Il a répondu favorablement et a réfléchi à la meilleure façon de dialoguer avec les marbres noirs. Sa réponse est visible sur les murs et dans la mise en espace du lieu. L’endroit est à fois petit et difficilement interprétable. La pièce d’Adel Abdessemed occupe presque tout le sol. Le dialogue s’est logiquement reporté sur les murs pour Daniel Buren. Les deux parois rouges amorcent un échange avec les sculptures noires.

Daniel Buren est également présent à “Art unlimited”.
Marie-Sophie Eich. Non, nous ne faisons pas “Unlimited” cette année.

Ah bon, mais j’ai vu une installation de Daniel Buren sur les escalators?
Marie-Sophie Eich. Ce que tu as vu est bien une œuvre de Daniel Buren, mais cette pièce est un cas unique dans l’histoire de la foire. C’est la première fois que les organisateurs passent commande. C’est incroyable! Les rayures peintes sur les contre marches des deux escalators sont des œuvres in situ permanentes. Art Basel dure une semaine, mais tout au long de l’année, le salon des expositions de Bâle accueille d’autres événements. Le hall d’exposition n°1 présentera toujours la pièce roulante de Daniel Buren. C’est vraiment formidable comme reconnaissance!

La présence d’expositions à Venise, Cassel et München produit-elle une émulation ici?
Marie-Sophie Eich. Les deux premiers jours de la foire ont été vraiment dingues. Un “Grand Tour” a été organisé pour les grands collectionneurs. Le voyage commençait à Venise, s’arrêtait à Zürich puis à Bâle pour terminer à Cassel. Ici nous avons senti les effets de ce parcours quand il s’est arrêté en Suisse. Après ces deux jours, une autre atmosphère s’est installée. Mais en terme de vente et de contacts, le rapprochement de tous ces événements artistiques n’apporte rien de plus que les années précédentes. Les retours de Bâle sont de toute façon toujours positifs, mais leurs effets ne sont perceptibles que quelques mois après, pas avant.

Quels ont été vos contacts ici?
Marie-Sophie Eich. Il y a toujours une effervescence à Bâle. La première fois que nous sommes venus cela semblait irréel. Les gens couraient dans les allées. L’ambiance était hystérique. En terme de contact c’est fabuleux. La galerie a été approchée par un très grand nombre de personnes différentes. Seulement ici une telle concentration de professionnels peut se faire. Nous arrivons à toucher des personnes que l’on peut attendre toute une vie dans une galerie. Les collectionneurs sont tous là. Le public est très international.
Nous sommes contents car Or noir entre dans une très belle collection privée new yorkaise. La galerie est très fière de cette vente, car nous réussissons à nous placer à l’étranger et à faire entrer Adel Abdessemed dans une collection internationale.
C’est le résultat de toute une année d’efforts. Nous avons eu aussi beaucoup de retours de la part de musées et approchés par plusieurs fondations privées. Le stand a également été remarqué par nos confrères qui sont venus nous complimenter. Ce genre de petites attentions fait toujours énormément plaisir.

Que représente Bâle dans votre chiffre d’affaire?
Marie-Sophie Eich.C’est seulement la troisième fois que nous sommes présents ici. Contrairement aux galeries installées qui sont là pour vendre leurs stocks, la galerie investit des secteurs qui privilégient les projets à la quantité. Nous venons à chaque fois pour défendre une installation. Du coup notre présence sert plus notre notoriété que notre chiffre d’affaire. Nous défendons avant tout une idée. Nous ne venons pas avec notre catalogue d’artistes sous le bras.

Dans “Art première” vous n’avez pas le droit de vendre d’autres artistes que ceux exposés.
Marie-Sophie Eich. Tout à fait. Nous ne pouvons vendre que Daniel Buren et Adel Abdessemed. Par contre nous donnons notre carte et rien n’empêche les gens de venir ensuite à la galerie à Paris. Les règles ici sont clairement établies et il faut les respecter. Tu peux regarder tout autour de toi, la documentation et les livres consultables sur le stand concernent uniquement les deux artistes présentés. C’est normal de suivre les consignes de la foire.

Quelle est la stratégie de la galerie ? Pourquoi est-elle présente à Bâle?
Marie-Sophie Eich. Être présent à “Art première” nous ressemble. Kamel Mennour est un galeriste animé par des projets. Il s’engage à chaque fois dans des chantiers différents. Il s’investit toujours très fortement. Il donne beaucoup de lui-même. La prise de risque est permanente. Ces derniers temps la galerie a produit de grosses pièces. Je pense justement à la Pergola de Buren à Art Basel Miami, qui mesurait pas loin de quarante mètres de long.

Pour diminuer la prise de risque, vous essayez de pré-vendre les pièces exposées dans les foires?
Marie-Sophie Eich. Non, nous n’avons pas le droit de le faire. C’est aussi une des règles à respecter. Pour être admis à l’intérieur de ce type d’événement on ne peut pas fonctionner de cette façon. Une pièce ne peut pas être vendue avant la foire. Par contre, chacun est libre d’avertir ses clients. Il faut souvent que l’œuvre y soit présentée pour la première fois. Ces règles nous conviennent parfaitement car elles épousent complètement la politique de la galerie. Elles sont également en phase avec la mentalité de nos artistes qui aiment participer à des expériences nouvelles. La taille et la jeunesse de la galerie nous poussent naturellement vers ce type de fonctionnement très réactif. Être ici, c’est la chance de s’offrir une très belle visibilité. Le stand est une plateforme idéale.

Un sentiment sur la foire qui s’achève?
Marie-Sophie Eich. Après avoir été présent les trois dernières années impairs, j’aimerais que le comité de sélection nous autorise à exposer les années paires. [rires]. Mais plus sérieusement, je pense que les galeries ne doivent pas avoir peur de présenter des projets. De plus, chaque galerie est là pour faire bouger les choses, c’est son rôle d’aller vers la nouveauté. Si on ne franchit pas le pas ici, on reste confronté aux formats d’exposition habituels, il vaut mieux innover en expérimentant.