ART | CRITIQUE

Armand Jalut

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Les toiles du jeune peintre Armand Jalut forment un univers particulier, riche de ses formes et de ses personnages, entier dans ses couleurs et ses excès, pataud par moment dans sa réalisation: les images s’entrechoquent dans les entrelacs d’une vision hallucinatoire, elles se frottent au réel pour mieux le saborder.

C’est Armand Jalut qui ouvre la saison chez Michel Rein. De la peinture, de quoi surprendre les habitués des lieux, de quoi détonner dans un paysage plutôt voué ici à l’installation ou à la vidéo.
Plus surprenant encore: Jalut est un jeune peintre sorti il y a deux ans de l’École des Beaux-arts de Lyon et qui fait là sa première exposition personnelle. Un coup de pouce salutaire pour un jeune homme qui découvre la peinture à la fin de son cycle d’étude après être passé par la vidéo.

Ce n’est pas pour rien d’ailleurs si sa peinture de tendance figurative se dispense de la préciosité du médium. Elle se nourrit d’influence diverse, Jeff Wall ou Jim Shaw et, d’une certaine manière, de Manet également (notamment dans l’enchevêtrement des plans que le maître impressionniste avait initié avec le Balcon ou le Bar aux Folies-Bergère), mais aussi les films de série b, les scènes d’horreur et le vocabulaire du kitsch.

Dans Les Yeux, trois personnages un verre à la main partagent l’espace avec une bête immonde aux yeux tout à la fois menaçant et implorant.
Dans Le Géant aux bulles, c’est un homme ventripotent qui d’un air suffisant observe deux hommes, l’un s’apprêtant à se boucher le nez et l’autre fabriquant des bulles de savon. Les tableaux de Jalut alignent des récits disloqués, des saynètes potentiellement inquiétantes sans jamais se départir d’un second degré aussi potache qu’il peut être calculé.

Les pantins de son bestiaire ont la saveur de l’étrange et certaines des situations, que l’on aurait dit bricolées depuis un coffre à jouet, exercent sur l’œil une fascination curieuse et interdite. Le garçon d’un bras plus grand que l’autre laisse poindre son malaise persistant alors même que la cocasserie de la scène nous oblige à sourire. Et ce bloc de matière filandreuse, mi-coton mi-chewing-gum sur lequel Le Duc des ombres vient poser son bras de peintre, n’est-il pas une invitation, une évidente attraction pour pénétrer le tableau lui-même et faire face à la croupe du cheval que Jalut décrit comme «érotique et menaçante» ?

Le tableau chez Armand Jalut renferme un mystère, même plusieurs à la fois. Ces énigmes ouvrent la voie à d’autres possibles, à une aire où la narration n’a plus prise, là où chaque spectateur interprète selon ses propres mirages. Une jolie et douce perversion donc, une fantasmagorie de l’intime pour un jeu de tiroirs que le grand Magritte n’aurait probablement pas renié.

Traducciòn española : Patricia Avena

Armand Jalut
— Duc des ombres, 2006. Huile sur toile. 170 x 170 cm.
— Un bras plus grand que l’autre, 2006. Huile sur toile. 195 x 130 cm.
— Les Trous dans le mur, 2006. Huile sur toile. 162 x 130 cm.
— Les Yeux, 2006. Huile sur toile. 160 x 160 cm.
— Les Briques, 2006. Huile sur toile. 195 x 130 cm.
— Le Géant aux bulles, 2006. Huile sur toile. 130 x 162 cm.
— Le Van aux limaces, 2006. Huile sur toile. 110 x 135 cm.

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