DESIGN | INTERVIEW

Pierre Parat. Architecture à grands traits

19 Nov - 19 Nov 2012
Vernissage le 19 Nov 2012
PLéa Mosconi
@19 Nov 2012

La Cité de l’architecture consacre l'exposition "Architecture à grands traits" à Pierre Parat, co-fondateur de l’agence Andrault et Parat à qui l’on doit le palais omnisport de Bercy, la faculté de Tolbiac et la tour Totem. Retour avec Pierre Parat et Simon Texier, co-commissaire de l’exposition, sur la démarche, les questionnements et la production d’un grand architecte du XXe siècle.

L’agence Andrault et Parat est l’une des agences d’architecture de l’après-guerre à avoir le plus construit. De 1957 à 1995, de l’apogée du modernisme jusqu’à la fin du postmodernisme, Andrault et Parat a su s’extraire des idéologies de l’époque et associer production de masse et recherches formelles. Ces recherches, articulées autour d’un travail plastique, du croquis d’architecture à la peinture, en passant par la vidéo, ont structuré l’expérimentation et la production de l’agence.

Léa Mosconi. Pierre Parat, vous avez dirigé l’agence Andrault et Parat de 1957 à 1995, période marquée par l’apogée du modernisme, son rejet par le post-modernisme, et par l’émergence de ce que certains appelleront les «starchitectes». L’exposition «Pierre Parat. L’architecture à grands traits» montre une ligne directrice très forte sur laquelle l’époque semble avoir une influence mais peu d’emprise. Comment les différents courants ont des années 1950 à 1990 ont-ils orienté votre démarche d’architecte?
Pierre Parat. On est toujours influencé par les événements, les rencontres et les courants. Mais rien ne m’a jamais marqué radicalement. C’est peut-être lié au fait que j’ai beaucoup construit, 40 000 logements, et très jeune. J’avais une grande admiration pour Le Corbusier ou Louis Khan, c’est certain, mais je n’étais pas dans l’idéologie moderniste. Quant au postmodernisme, ça m’a surtout fait rire, je prenais avec distance cette mégalo-architecture. Je ne suis pas dogmatique. C’est pour cela que l’on a développé et conservé une écriture singulière tout au long de nos projets.

Simon Texier, vous êtes historien, professeur à l’université de Picardie et commissaire avec Francis Rambert de l’exposition «Pierre Parat. L’architecture à grands traits». Comment avez-vous établi le corpus de cette exposition? Quelle position de Pierre Parat souhaitiez-vous défendre en construisant ce corpus?
Simon Texier. Nous présentons deux ensembles de dessins qui concernent les tout premiers projets, comme la basilique de Syracuse, et qui vont jusqu’aux années 1980. L’idée est de montrer comment, au sein d’une agence, un concepteur mène un travail de recherche et d’expérimentation quotidien avec le dessin. L’enjeu est aussi de comprendre la manière dont l’architecte opère, à partir de la multitude de propositions et d’idées, pour trouver les solutions pertinentes.

Comment la basilique de Syracuse a-t-elle marqué l’histoire de l’architecture religieuse du XXe siècle?

Simon Texier. Il existait à l’époque beaucoup de concours pour des reconstructions d’églises en Europe. Guillaume Gillet, arrivé deuxième au concours de Syracuse, avait réalisé à Royan une magnifique structure de béton armé, mais qui restait dans la famille du plan basilical et de l’idéal gothique. Au contraire, le projet d’Andrault et Parat pour Syracuse remettait complètement en cause ce principe d’église circulaire, d’une ossature très affirmée avec une structure visible de l’extérieur comme de l’intérieur régissant tout le bâtiment. Cette remise en cause basée sur le «plan centré» dont on parlait beaucoup à l’époque, mais auquel Andrault et Parat ont donné une radicalité nouvelle, ouvrait une nouvelle voie dans l’histoire de l’architecture religieuse. Le succès a été immédiat et mondial.

Pierre Parat, aviez-vous conscience de la radicalité de votre proposition?
Pierre Parat. Absolument pas. J’ai toujours travaillé avec instinct. J’avais envie de faire indéniablement un bâtiment cultuel. ll y avait une liberté d’expression architecturale très forte dans ce type de projet. Avec le risque que cela comporte. Mon succès au concours pour la basilique de Syracuse a produit une grande résonnance dans le milieu de l’architecture. J’avais vingt-huit ans. J’ai été appelé partout notamment à la rédaction d’André Bloch, à l’Architecture d’Aujourd’hui où il y avait Le Corbusier, Marcel Lods, Claude Parent. Kenzo Tangue s’est inspiré de mon projet pour la cathédrale catholique de Tokyo.

Une partie de l’exposition est axée sur le sol comme objet construit. Peut-on considérer que ce questionnement sur le sol permet de décloisonner le rôle de l’architecte, de ne plus le limiter à la construction d’un bâtiment mais de l’ouvrir à l’environnement urbain, humain et naturel?
Pierre Parat. L’appropriation du sol est une chose nécessaire et obligatoire. Cela n’a pas toujours été évident. Je pense au Palais Omnisport de Bercy, avec toutes les restrictions du sol qui m’étaient imposées. Pour l’Université de Tolbiac, j’ai fait une étude où je m’appropriais les terrasses des amphithéâtres. C’était assez compliqué. Il faut comprendre que cette université étouffe, avec ses 14 000 étudiants. Il n’existe aucune expansion possible. Alors la question du sol, et la manière dont l’architecte peut le penser pour que les usagers puissent se l’approprier, est fondamentale. On a fait appel à des artistes pour cette question, Yvette et Bernard Alleaume.

Simon Texier. L’architecture universitaire fait l’objet de nombreux mythes. Après 1968, le mythe de la tentative de confectionner des sols sur lesquels il serait impossible manifester s’est ajouté à l’histoire des sols glissants de Jussieu. D’un coté ça glisse, de l’autre coté c’est trop rugueux.

Pierre Parat. Au contraire, on peut grimper sur les terrasses, ce sont des espaces que l’on peut s’approprier. En tout cas, je n’avais nullement l’intention de faire des terrasses antirévolutionnaires!

L’agence Andrault et Parat est réputée pour entretenir des rapports étroits avec l’industrie, mais aussi pour travailler avec le monde de l’art. Cette position est assez singulière.

Simon Texier. Grâce à leurs relations avec l’industrie, Andrault et Parat ont réussi à produire des formes, du sens, parfois même de la poésie dans certains bâtiments. L’originalité de la production de l’agence, son vocabulaire et son style, la rendent difficilement classable. En revanche, elle n’a pas l’apanage de s’assurer la collaboration d’artistes.

Les dessins de l’exposition révèlent un rapport singulier à la couleur.
Pierre Parat. J’utilisais la couleur pour souligner certaines choses. La couleur permet de crayonner plus facilement, de chercher des références. Je ne la traduisais pas ensuite dans mes bâtiments ; la couleur, c’est aussi un plaisir.

Simon Texier. Je voulais montrer dans l’exposition que l’agence Andrault et Parat faisait un usage permanent de la couleur. Mais d’autres types de travaux plastiques sont basés sur des palettes restreintes, du bleu et du rouge, du noir et blanc.
J’ai voulu présenter des dessins, du cinéma, un peu de mobilier, de la peinture pour montrer que toutes ces différentes approches sont unies par une même combinaison de simplicité et de force : celles du trait dans les dessins, du montage pour les films, de l’ossature pour les meubles.

Comment avez-vous réalisé les films présentés dans l’exposition?
Pierre Parat. Si je n’avais pas été architecte, j’aurais été cinéaste. L’œil de la caméra est un œil particulier qui confère une autre vision. La caméra m’obligeait à voir des choses de façon différente, dans le temps et dans l’espace. J’ai tourné de manière récurrente sur les mêmes lieux, Venise, New-York, etc.

Ce regard singulier de la caméra, on a l’impression de le retrouver dans les dessins à l’exposition. Le dessin et le film proposent l’épuisement d’un objet.
Simon Texier. J’aime bien l’image de l’épuisement. J’utilisais plutôt l’idée de décanter, mais j’y ajoute il est vrai celle d’épuiser. C’est notamment le cas dans les films de New-York, dans lesquels il s’agit de tirer le maximum des images.

Pierre Parat, vous avez aussi travaillé sur des réaménagements du célèbre CNIT de Bernard Zehrfuss à la Défense. Comment avez-vous appréhendé ce projet ?
Pierre Parat. J’étais en très bons termes avec Bernard Zehrfuss, qui m’a fait confiance quand il a fallu intervenir après que le promoteur en charge de la Défense, Christian Pellerin, eut tout détruit, tout. Il n’avait gardé que la voûte. Cette voûte toute simple, était superbe, très belle. C’était le paradoxe de ce projet: quand on a une forme pure, on n’a pas envie d’y toucher. L’architecture, ce n’est pas facile.

La complexité de l’architecture vient de la position paradoxale qu’elle occupe entre réel sur lequel elle intervient, et l’art auquel elle aspire.
Pierre Parat. La complexité vient aussi de sa fonction première qui est de faire habiter des gens. L’architecte est investi d’une responsabilité énorme. On a fait des villes entières. Pour les logements, par exemple, j’ai voulu rompre avec les HLM de l’époque, avec cette production considérable de la Caisse des dépôts. J’ai pour cela interrogé l’habitat des riches qui habitent en hauteur pour profiter du soleil, avoir des terrasses, des espaces extérieurs, des cheminements personnels. Ce sont ces idées-là que j’ai voulu intégrer dans les logements des pyramides d’Evry. J’ai cru que cette architecture-là pourrait se développer autrement. Mais cela n’a pas donné grand-chose, on est retombé dans les habitudes de l’habitat.

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