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Apples and Pears and Other Fruits of the Forest

PLaurent Perbos
@12 Jan 2008

C’est sous le signe de l’appropriation, et en référence à Marcel Duchamp, que se décline l’exposition de Jonathan Monk Apples and Pears and Others Fruits of the Forest. L’artiste est à l’origine du projet mais n’en est pas l’auteur au sens strict du terme. Il pose une idée et laisse à d’autres le soin de la décliner à sa place.

C’est sous le signe de l’appropriation que se décline l’exposition de Jonathan Monk Apples and Pears and Others Fruits of the Forest. Le tableau de Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier, son rêve de rencontre avec l’artiste et le descriptif simple des œuvres présentées servent de point de départ au voyage auquel il nous convie.

Nous sommes les interprètes singuliers d’un environnement en perpétuelle transformation, sous l’œil omniprésent du créateur. Les changements qui s’opèrent jour après jour laissent entrer l’altérité au cœur de la galerie, mais dépassent aussi les murs de son enceinte pour se diffuser tout doucement dans les rues de la ville.

Plusieurs planches de bois sont disposées ça et là dans l’espace. Les différentes versions de Eye Pictures, supports d’une multitude d’orbites grandes ouvertes, sont des postes d’observation pour l’artiste. Les yeux peints par un ami de Jonathan Monk remplacent les nœuds des panneaux manufacturés. Leur nombre est aléatoire. Il dépend de la qualité du matériau. L’artiste accepte de faire entrer une part d’inconnu au cœur de son œuvre et délègue l’acte de mise en forme.

Cette première série d’œuvres pourrait résumer, à elle seule, l’ensemble de l’exposition. L’artiste est à l’origine du projet mais n’en est pas l’auteur au sens strict du terme. Il pose une idée comme postulat et laisse d’autres personnes la décliner à sa place.
Jonathan Monk devient voyeur, examinant les faits et gestes des personnes qui se trouvent dans la galerie. Ce dispositif rappelle l’œuvre de Duchamp, Étant donnés…, dans laquelle les visiteurs pouvaient observer à travers deux trous opérés dans une vieille porte, la réplique du buste nu d’une femme étendue sur une couche de branchages.
Ici, c’est à notre tour d’être, malgré nous, enfermés dans l’espace fabriqué par l’artiste. Humour, autodérision et pastiche sont de rigueur. Nous pouvons poursuivre notre déambulation mais l’œil de Jonathan Monk est partout.

Dans un coin de la pièce, on aperçoit six toiles qui ne nous sont pas totalement inconnues. Ces copies du tableau de Gerhard Richter, Ema, Nude on Staircase, font appel à différentes références. La première, la plus flagrante, est celle empruntée à l’œuvre même de l’artiste allemand. Une femme nue descend un escalier et nous fait face. La touche brossée et l’aspect flou, caractéristiques particulières de certaines productions de Gerhard Richter, sont conservées.

Mais une fois encore, Jonathan Monk n’est que le commanditaire de ces reproductions. Effectuées en Chine, à l’aide d’un document JPEG, les toiles lui ont été restituées une fois terminées. Ironie du sort: les exécutants de cette commande, pour qui l’auteur original est un parfait inconnu, ont cru bon de ne pas les peindre floues. Les rendant plus nettes, ils pensaient satisfaire leur client et pallier un défaut du modèle informatique qui leur avait été fourni. Jonathan Monk a dû faire retoucher les toiles afin d’obtenir le résultat souhaité et des copies les plus proches des œuvres originales.
Mais le thème du tableau est aussi le point de départ de l’exposition, et avant tout, une citation directement empruntée au Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp.
Seules trois ampoules de couleur accrochées sur le corps de la femme au niveau des seins et du pubis constituent l’intervention minimale de Jonathan Monk. Ce n’en est pas moins une appropriation.
Comme a pu le faire Marcel Duchamp avec ces ready-made quelques années auparavant, Jonathan Monk repense entièrement la définition même du geste artistique. L’œuvre n’est plus considérée comme le fruit d’un travail, l’essentiel n’étant plus de réaliser mais de choisir.
Cette mise en abîme de références ouvre un autre champ poétique, donne une nouvelle vie à l’œuvre originale et la ramène à notre époque après différents bons dans le temps.

Le mouvement incarné dans le personnage l’est aussi dans l’intention de Jonathan Monk qui fait voyager ces “icônes” à travers l’histoire de l’art. Les hommages à Duchamp se multiplient. Une vidéo d’un homme et d’une femme nus, qui descendent l’escalier d’une boîte de nuit déserte, est projetée dans un coin sous la grande verrière. Nudes Descending The Stairs, entre en écho avec la pièce précédente. L’action est réelle et se répète sans cesse, en boucle. Jonathan Monk apporte une autre dimension à la référence initiale. Le tableau cubo-futuriste de Duchamp est à nouveau analysé, déstructuré et manipulé afin d’en donner une version contemporaine, une nouvelle interprétation.

Des dizaines de vélos sont entassés les uns contre les autres ou posés seuls contre les murs. One Hundred Bicycles for Paris, noue un autre dialogue avec le visiteur et le cours de l’exposition. Chaque soir à la fermeture de la galerie, un des vélos exposés est déposé dans la rue. L’artiste entend ainsi faire circuler les parties de son œuvre dans la ville, mais aussi les distiller au sein même du quotidien comme des éléments à part entière.
Laissés sur le trottoir, ces véhicules ne sont plus que de simples moyens de transport abandonnés au vol et à la convoitise, alors qu’ils étaient considérés quelques heures plus tôt comme des œuvres d’art au sein de la galerie Yvon Lambert.
Une fois encore, le spectre de Duchamp réapparaît et ses nombreuses réflexions sur le statut de l’œuvre nous reviennent en mémoire. Une œuvre d’art n’est reconnue comme telle que par un groupe à l’identité sociale commune, dans un système de valeurs particulier. Le musée peut transformer et “sacraliser” n’importe quel objet.

Enfin, c’est aussi le spectateur qui contribue à sa création dans la mesure où il apporte à son tour une pensée nouvelle pour cet objet et l’enrichit ainsi d’un autre sens. Jonathan Monk conçoit donc que ses œuvres soient les réceptacles d’autant de personnalités que de visiteurs les ayant vues. Il les relie au quotidien et anticipe les différents niveaux de lecture qu’elles proposent. Il s’adresse aux initiés comme aux personnes sans culture artistique et tente ainsi de réaliser son projet: “Amener l’art à la vie”, démystifier le statut de l’artiste, son geste créateur et organiser de nouveaux points de rencontre entre les différents mondes qui constituent notre société.

Jonathan Monk
Mutton Dressed as lamb, 2007. Oil on canvas, lamps. 160 x 120 cm
Nudes Descending the Stairs, 2007. Video (double projection). 4’20’’ each film
Looking through a hole large enough for me to see you but not large enough for you to see me, 2005. 16 mm film

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