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Anywhere, Frédéric Pradeau

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@12 Jan 2008

Considérant l’art comme une expression sociale et politique, Frédéric Pradeau crée des produits-dérivés de la dérive de la société de consommation. Tandis que le «collectif politique» Anywhere intercepte sur internet des chats de personnes qui fréquentent des sites vantant les mérites de la virginité.

La galerie Corentin Hamel a pour objet, et selon ses propres termes, une «expression sociale et politique». Y sont donc exposés des artistes qui, à l’image d’Édouard Boyer, par exemple, souhaitent pointer ce qu’ils jugent comme étant des dysfonctionnements de notre société liés, notamment, au marketing, à la mondialisation, au commerce de la guerre, à l’impartialité des médias, etc. C’est ainsi qu’un artiste comme Frédéric Pradeau, par exemple, s’amuse à créer des produits-dérivés de la dérive de la société de consommation.

En décembre 2001, il a montré son alambic à Coca-Cola à la galerie du Bellay à Rouen, dans le cadre de l’exposition collective Black Silver and Gold qui réunissait plusieurs artistes préoccupés, comme lui, par le monde marchand. Et réinstallant son alambic dans la galerie Corentin Hamel, Pradeau ne pouvait trouver lieu plus adéquat pour distiller et faire déguster au public son alcool de Coca-Cola (ce fut chose faite le 23 mars 2001).

Posée au sol, la machine se compose de bassines remplies de ferments et autres moûts, cocotte-minute et pression à volonté, le tout, plus ou moins relié par des tuyaux. Tout petit frère de Cloaca (la fameuse machine à fabriquer du caca de Wim Delvoye), l’alambic de Pradeau, en distillant la boisson-symbole du capitalisme américain n’a d’autre ambition que celle de saouler, avec humour, le spectateur et de transformer, quelques heures durant, la galerie en Assommoir. Cette boisson rejoint ainsi les nombreux post-produits inventés par l’artiste français, rotoreliefs de Duchamp sur enjoliveur de voiture «Xsara Picasso», ou encore serviettes rafraîchissantes au Ricard.

Néo-Victorien 1 et Néo-Victorien 2 font partie d’un seul et même projet du «collectif politique» Anywhere. En interceptant des chats sur le net, Anywhere recense les «névroses néo-victoriennes» de personnes qui fréquentent, entre autres, le site du révérend Richardson True Love Waits (Le véritable amour attend) où sont vantés les mérites de la virginité. C’est ainsi qu’Anywhere établit une liste des correspondants «néo-victoriens» comme Georges Parkash, vierge depuis trente ans, ou encore Tom Kellon, dix ans, le plus jeune adhérent du site ayant prêté serment de virginité. Le Livre 1 fait l’état des lieux, tandis que le collectif politique entre en contact, sous forme masquée, avec les divers acteurs de ces sites dans le Livre 2. Ces chats sont également matérialisés sur cinq kakémonos suspendus aux murs de la galerie, et le résultat de ces échanges est sans surprise: affligeant.

Par exemple:
«(Anywhere) : Ne crois-tu pas que le serment te coupe des activités des jeunes de ton âge?
Cindy : Le serment représente quelque chose de très spécial pour moi. Il n’y a aucune activité où je sois super bonne. Je ne chante pas, je ne fais pas de sport et je ne suis pas très intelligente. Mais rester vierge, je ne connais pas beaucoup de filles qui en soient capables comme moi».

Et ainsi de suite. Que dire? Rien si ce n’est qu’Anywhere nous rappelle que la bêtise humaine est insondable. Est-il besoin de franchir les murs d’une galerie pour savoir ce que les journaux et internet nous disent déjà depuis pas mal d’années ? Bien sûr, non. Alors, on rit, on se moque, on se dit «c’est pas possible!» et on trouve que ce collectif a vraiment beaucoup d’humour de nous montrer ces images à l’esthétique pixelisée.

Idem pour la proposition Pack Vie Pratique où, malgré les essais d’aménagement divers et variés d’un intérieur de 40 m2, le  » décorateur en herbe  » reste inexorablement anonyme et peu original, comme peut le constater le visiteur qui feuillette lascivement le résultat en impressions couleur format A4, devant un mur recouvert de papier peint motif pavé de verre.

L’art et la politique ne font pas souvent très bon ménage, les artistes contemporains et les galeristes le savent bien. Les artistes invités par Corentin Hamel nourrissent un fol espoir, celui de croire que l’art peut avoir un impact socio-politique ou que les phénomènes socio-politiques ont un intérêt supplémentaire lorsqu’ils ornent les cimaises d’une galerie. Cause perdue ou naïveté abyssale ?

Anywhere
— Pack vie pratique. Logiciel d’aménagement intérieur, 2002. Ordinateur à disposition dans l’exposition, cahier recensant des intérieurs créés par logiciel format A4, cahier de textures format A4, mur couvert de papier motif «pavé de verre».
— Néo-Victorien, Book 1 et Book 2, deux livres format A4 à l’italienne, 5 kakémonos. 2002

Frédéric Pradeau
— Dispositif de fabrication d’alcool de coca : palette de coca-cola, levure de bière, 10kl de sucre, corbeille de fruits, 2001

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