ART | CRITIQUE

Antoinette Ohannessian

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@28 Mar 2012

L'énonciation de phrases descriptives est un procédé récurrent dans le travail d'Antoinette Ohannessian. S'appropriant des paroles entendues, elle leur donne matérialité et leur confère, au-delà de leur banale évidence, un statut d'œuvre. La parole énoncée se veut épurée, et procède dans un pur souci de justesse et d'objectivité.

Sept ans après sa dernière exposition à la Galerie Alain Gutharc, Antoinette Ohannessian revient présenter son travail, comme suite logique et complémentaire de ses expérimentations passées.

Lorsque l’on pénètre dans la galerie, plusieurs écrans-vidéos et une pierre singulièrement posée au sol nous accueillent. Un espace presque vide aux murs blancs et quelques sons permettent au visiteur de sortir du «réel» et d’intégrer une autre dimension, prendre conscience qu’il existe une autre matérialité que celle à laquelle il est traditionnellement habitué et conditionné.

La première de ces vidéos, Débats, est articulée en quatre volets et passe en boucle le conciliabule discret de l’artiste avec les bruits livrés par la nature. Armée d’un haut-parleur, elle attend les «signes» lancés par des mouettes, des corbeaux et une multitude d’oiseaux, ponctuant ce dialogue de mots concis: «Oui mais», et «Vous en conviendrez».

Face à cette vidéo, une inscription «A jeter dans une rivière» à côté d’une pierre, renvoyant aux précédents travaux commis par Antoinette Ohannessian où les textes donnent à voir au-delà de ce que l’on voit, où l’objet existe par lui-même dans une matérialité qui lui est propre.

L’énonciation de phrases descriptives est à nouveau exploitée dans deux autres vidéos. La première Ma vie n’est autre que le roman de la vie d’Antoinette Ohannessian où la phrase «Le passé augmente» serait son seul énoncé, avançant inexorablement au rythme d’une imprimante que l’on devine par le mouvement saccadé de la vidéo et dont on ne perçoit que le son, gong funeste et bande-son du tragique.
A ses côtés, Journal intime, défilant en boucle le décompte en désordre de secondes, interrompu par cette phrase de l’évidence «Tu clignes des yeux». Ordonnant presque le visiteur à ponctuer ce défilé incessant et muet par ses propres clignements, l’artiste balaie la distance entre elle et son public: ce journal donne la sensation d’être universel et d’appartenir à tous.

Projetée sur tout un pan de mur, Un An est le journal intime où l’artiste, selon ses dires prend «rendez-vous avec elle-même». Elle confronte son réel à ce qui se passe ailleurs au même moment, accentuant ses propos sur les marasmes et conflits politiques.
Antoinette Ohannessian met ainsi en place un système d’écriture à la fois nerveux et compact, assimilable aux dépêches Reuters de l’information en continu. Situant le visiteur dans un espace-temps seulement assimilable par les événements retranscrits sur ce qui pourrait s’apparenter également à un générique de film, l’artiste transforme cette inaction en forme de résistance, tout en faisant surgir le monde dans son propre espace.

Sur le côté, la quatrième vidéo, Ciel, met en scène le feuilletage d’un Paris-Match par l’intermédiaire de phrases sur l’image de nuages filmés durant un vol.

Depuis la fin des années 90, l’énonciation de ces phrases descriptives est un procédé récurrent dans le travail d’Antoinette Ohannessian. Tandis qu’en 2005, elle se concentrait sur l’idée de donner corps à la parole, cette nouvelle exposition laisse la part belle à de nouvelles réflexions, nées de cette citation de Flaubert: «Pour qu’une chose soit intéressante il suffit de la regarder longtemps».

S’appuyant également sur Wittgenstein et sa maxime «il faut passer de l’explication à la simple description», Antoinette Ohannessian tend à donner une profondeur au regard, se servant des mots pour donner corps et matière au verbe «voir».
Elle cherche également à «éduquer» notre perception en présentant ses œuvres et réalisations dans un cadre épuré, débarrassé du superflu dans un souci constant de justesse et d’objectivité.

Aborder le travail de cette artiste n’est autre que se confronter nous-même à notre propre regard, en cherchant des évidences qui auraient pu nous échapper. Ces «signes» que l’artiste nous livre presque bruts permettent d’aller au-delà des apparences et donnent à terme à ces phrases, un statut d’œuvre.

Publications
Fabienne Fulchéri, Le Journal des arts, 26 oct. et 8 nov. 2001.
Emmanuelle Lequeux, «Le presque rien d’Antoinette Ohannessian», Le Monde, 18 juin 2005.
Françoise Ayxendri, «Dans l’atenier de Lacroix», Elle, 25 juin 2007.
Anne Lehut, «Comment dire…», parisART, avril 2011.

Å’uvres
— Antoinette Ohannessian, A jeter dans une rivière, 2012. Pierre, peinture. 60 x 25 x 20 cm
— Antoinette Ohannessian, Ciel, 2010. Vidéo. 2 min 55 sec en boucle
—Antoinette Ohannessian, Journal intime, 2012. Vidéo. Durée indéterminée en boucle
— Antoinette Ohannessian, Ma Vie, 2010. Vidéo. 2min 02 sec en boucle

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