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Annika Von Hausswolff & Öyvind Fahlström

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Travail axé sur la complémentarité entre le document et la mise en scène photographiques. La théâtralité de l’œuvre tend à anéantir le réalisme de l’image pour libérer une tension teintée de perversion et d’humour.

Annika von Hausswolff impose en quelques traits une tension romanesque qui, arpentant les versants du tragique et de l’onirique, conforte la cohérence de tout un travail.

Depuis plus de dix ans en effet, l’artiste élabore un projet axé sur la complémentarité de la photographie documentaire et de la mise en scène photographique. Les cinq prises de vues présentées à la galerie Air 2 Paris suffisent à définir ce style qui joue tant de la frontalité sujet/spectateur que de la relation quelque peu troublante qu’entretiennent les personnages et leurs objets.

Objets ou accessoires d’ailleurs ? La théâtralité manifeste de l’œuvre tend à anéantir le réalisme de l’image pour libérer une tension teintée de perversion et d’humour. La mise en scène prend le pas sur le témoignage, le spectateur questionné sur la charge énigmatique et fantasmagorique de ces photographies n’est pas convié à participer. Les sujets de Von Hausswolff se noient ainsi dans un véritable décor.

Parmi ceux-ci, Stihl montre une jeune femme en contre-jour crispée sur sa tronçonneuse et assise devant une fenêtre recouverte par un majestueux voile blanc. Sur ce voile vient en virevolter un autre, cette fois-ci rouge. L’image concentre une violence évidente : l’association de deux de ses éléments, la tronçonneuse et le mouvement du rideau rouge produit ce sentiment d’inquiétante étrangeté que le personnage ne réduit pas par sa passivité.
Au contraire, il l’alimente. Le même mystère dans Third position où le personnage féminin se retrouve bâillonné, le corps lacéré, le pantalon baissé jusqu’aux chevilles, mélange déroutant de ferveur et d’érotisme. On y retrouverait sans se tromper la mise en scène du Martyr de Saint-Sébastien immortalisée par Mantegna au XVIe siècle. Ou bien celle d’une stratégie de séduction issue des rites sado-masochistes.

Victimes ou absents, les personnages sont toujours transparents, voire littéralement cachés. Leurs intentions potentielles sont finalement portées par les objets : les ceintures et les cordes, la tronçonneuse et le voile rouge, les couvertures ou bien même le store cassé nous en disent plus sur ce qui se joue ou ce qui s’est joué.
Perversité, fantasmagorie, brouillage de situations quotidiennes virant au burlesque : Annika Von Hausswolff nous donne une version plutôt convaincante de ce que pourrait être une icône surréaliste des temps modernes.

Dans la famille du surréalisme scandinave, nous avons également le père, la figure tutélaire de l’avant-garde nordique : Öyvind Fahlström. Il occupe la deuxième salle avec une pièce unique, Mask of Paul de 1968, détournement de la stature du pape.
Voici donc le visage du souverain pontife aux traits composés à partir d’images diverses collectées sur des revues ou des comics, le tout reporté sur des magnets. Le nez dévoile une scène probablement érotique tandis que les oreilles et l’ombre du menton reconstituent les chromos de nos vieux cours d’histoire naturelle. L’ensemble est modifiable à l’envi. A chaque présentation de l’œuvre, un nouveau sacre finalement, avant l’irrémédiable déboulonnage.

Grimé et du même coup désacralisé : le visage du pape perd de sa candeur pour gagner en attraction, en étrangeté, en fascination perverse et moqueuse. Désacralisé donc, pour être re-fantasmé : Fahlström pousse le pop jusqu’à la critique politique, la démonstration ironique du culte du pouvoir et de ses prises de positions symboliques. La gouvernance morale et puritaine aura baissé la garde (au moins cette fois) devant l’ironie mordante et un brin perverse de l’artiste.

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