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Anne de Villepoix

Anne de Villepoix est une galeriste en mouvement, dans le monde international de l’art contemporain comme sur la scène parisienne qu’elle arpente en scooter. Pour aller partout, souvent plusieurs fois, et tout voir. Une attitude « stakhanoviste » dictée par la pssion, et par une volonté d’interroger la validité de ses choix…

André Rouillé. Quel est votre itinéraire réel ou imaginaire dans le Paris de l’art contemporain ?
Anne de Villepoix. Je pars en scooter de Bastille, je m’arrête à la Maison européenne de la photographie, à l’Hôtel de Sully, si les expositions sont intéressantes. J’aime aussi aller au Centre national de la photographie, et à l’espace Électra. J’y ai vu une intéressante exposition sur l’architecture mexicaine. Je me rends évidemment à l’Arc, au Palais de Tokyo, toujours à la fondation Cartier. Également au passage de Retz. Dernièrement, je suis allée à la Bibliothèque François-Mitterrand voir les sculptures de Anthony Cragg exposées sur le parvis par la galerie Chantal Crousel. À côté, j’ai fait un saut au nouveau complexe de cinémas MK2 Bibliothèque, où un espace présente des artistes contemporains. Mon grand intérêt pour l’architecture me conduit vers l’Institut du Monde arabe, ainsi qu’à l’Institut français d’architecture où se croisent parfois l’art contemporain et l’architecture. Je vais toujours plusieurs fois au Palais de Tokyo, pour suivre le rythme des expositions. Sans omettre Le Plateau qu’on a tendance à oublier, car il est un peu excentré et isolé. À chaque fois, il faut y aller spécialement !
Dans le Marais, je vais chez mes voisins, Zürcher, Dupont, Brolly, Obadia, Chez Valentin, Rein, Marian Goodman, Daniel Templon, etc. Il y a aussi le quartier Matignon, De Noirmont. Tout en aimant les lieux plus marginaux comme la petite galerie de Florence Bellaï;che, au 24, rue Baudelaire, ou la rue de l’Échiquier. Dans le XIIIe, je vais tout voir, j’aime en particulier la galerie Kreo, où je découvre des choses intéressantes.
En fait, je suis une vraie stakhanoviste, j’ai besoin de tout voir, même ce que je n’apprécie pas, pour confirmer mes intuitions, me rassurer sur mes choix de soutenir tels ou tels artistes. C’est dans la même optique de choix et de sélection que je participe à Galerie Mode d’emploi et au Cofiac.
Je regrette l’absence d’un guide exhaustif. On manque d’un outil qui recenserait tous les lieux de l’art contemporain, et qui offrirait un choix large. Même pour les étrangers, ce serait formidable. Ils pourraient découvrir la diversité des lieux et des endroits inconnus.

On parle beaucoup d’un déficit de présence de l’art contemporain français dans le monde ?
Il ne s’agit pas uniquement d’un problème français. Cette situation se retrouve en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne. Il existe beaucoup de bons artistes, mais leur cote n’est pas assez élevée, comparativement à celle des Américains.
Cela dit, dans les foires internationales on assiste à l’émergence d’artistes suédois, finlandais et norvégiens défendus par une jeune génération de galeristes.
Quant aux galeries françaises, leur place est loin d’être négligeable dans les manifestations internationales.

Vous êtes confiante…
J’ai une vision plutôt optimiste de la situation, car la France ne manque pas d’atouts. Elle n’a certes pas de collectionneurs aussi importants qu’aux États Unis. Mais ils sont potentiellement nombreux et actifs. En Angleterre, au contraire, le marché n’est national qu’à hauteur de 5%, le reste des ventes est réalisé à l’international. En Allemagne, la crise économique oblige les galeristes à participer davantage aux manifestations internationales. Il se passe beaucoup de choses à Paris, et de grands collectionneurs étrangers s’arrêtent souvent à la galerie.

Durant la dernière période, des lieux se sont ouverts, d’autres ont disparu, on est dans l’expectative concernant le Centre national de la photographie, et des rumeurs courent à propos du Palais de Tokyo…
Le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, doit se prononcer sur le devenir de lieux comme le Centre national de la photographie et le Palais de Tokyo. Le Centre national de la photographie possède une vraie identité. Ce serait idiot de le faire disparaître, et il doit rapidement être fixé sur son avenir. Quant au Palais de Tokyo, le risque serait de le voir repris par la Délégation aux arts plastiques, ou rattaché à une grande institution. Après toute l’énergie dégagée par ce lieu, ce serait un drame que tout retombe. C’est la multiplication des lieux et la diversité de leurs propositions qui créent l’énergie d’une ville.

Paris est-il une scène vivante ou plongée dans une douce torpeur. L’appréciation ne doit-elle pas varier selon les quartiers ?
Dans l’ensemble, je constate une vitalité nouvelle de l’art contemporain à Paris. Le quartier Saint-Germain s’oriente à nouveau vers l’art contemporain et les galeristes s’organisent. La galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois est très active, comme Hervé Loevenbruck. Ils forment la relève. Même constat pour le quartier Matignon qui, jusqu’alors, souffrait d’un certain endormissement ! Quant aux fermetures de galeries, elles sont peu nombreuses. Nous pouvons regretter vivement la fermeture de la galerie Jennifer Flay.

Quels sont les artistes français qui bénéficient d’une audience internationale ?
La France compte beaucoup de grands artistes : Sophie Calle, Pierre Huyghe, Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster, Franck Scurti, François Curelet, Claude Lévêque, Xavier Veihlan, Marie Huguonnier, etc. Le plus difficile est de les présenter dans des galeries à l’étranger, à New York notamment, avec de vraies cotes. Récemment, lors de l’Armory Show, le Centre culturel suisse de New York a exposé, avec les artistes suisses, quatre artistes français de la galerie Loevenbruck, dont Olivier Blanckart, Bruno Peinado et Virginie Barré. L’an dernier, Pierre Huyghe, lauréat du prix Hugo Boss, côtoyait Matthew Barney au musée Guggenheim. Beaucoup d’Américains ont ainsi pu le voir.
Et puis, la galerie qu’Yvon Lambert va ouvrir à New York en septembre va donner une belle visibilité aux artistes français. Toutes ces initiatives sont positives.

Les institutions ont-elles un rôle moteur dans cette dynamique ?
Il faut d’abord que les artistes français apprennent à s’en sortir eux-mêmes, Ils doivent créer des réseaux avec d’autres artistes étrangers. L’enjeu est d’être présents dans les grandes manifestations internationales et sur le marché.

Entretien réalisé en mai 2003 par André Rouillé pour paris.art.com.

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