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Anna Gaskell

PNathalie Delbard
@12 Jan 2008

Dessins, photographies et vidéo :
l’histoire de Hans le joueur de flûte entre fiction et réel pour mieux faire ressurgir nos fonctionnements fantasmatiques les plus intimes.

A l’occasion de sa première exposition personnelle en France, Anna Gaskell présente à la galerie Yvon Lambert un ensemble de dessins, photographies et vidéo, qui confirme le goût prononcé de l’artiste pour la fiction, a fortiori lorsque celle-ci parvient à s’immerger dans le réel pour mieux faire ressurgir nos fonctionnements fantasmatiques les plus intimes. Cette fois, c’est à travers l’histoire de Hans le joueur de flûte qu’Anna Gaskell décline ses interprétations sur le double thème de l’attraction et de la fuite, balisant ainsi le parcours comme autant de soubresauts, d’aller et retour entre les œuvres.

Dans la première salle, blanche et vide, l’artiste a dessiné à même le mur une paire de jambes effilées, l’une pliée, l’autre tendue et chaussée d’un soulier pointu, comme un prélude à l’exposition proprement dite ; de ce corps privé de buste qui ne semble obéir qu’à sa volonté propre, Anna Gaskell fait en effet naître un tiraillement, métaphore d’une oscillation constante entre désir d’avancer ou de s’éclipser définitivement.

La vidéo Hameln 1284, projetée dans la deuxième salle, confirme d’ailleurs la logique mise en place par l’artiste, directement inspirée par l’irrésistible attraction dont sont victimes les enfants du conte : petites formes noires filmées de dessus et s’agitant fébrilement sur la neige, ils accélèrent soudainement leurs déplacements pour finir par sortir du champ, comme entraînés inexorablement par quelque force mystérieuse… Monté en boucle, le film alterne donc présence d’une foule miniature et grouillante, et blancheur de la surface enneigée seulement marquée des pas des enfants, la musique d’Edvard Greig scandant de manière presque hypnotique l’évolution du groupe et de ses mouvements saccadés.

Poursuivant en quelque sorte le chemin indiqué par la vidéo (de gauche à droite jusqu’à sortir du cadre, pour arriver dans la pièce adjacente), des dessins contrecollés, subtilement agencés les uns avec les autres, déroulent ensuite le fil de l’exposition. Jambe tendue ou fléchie attrapée par un bras qui lui-même prolonge une tête, puzzle enchevêtré de membres frêles et nerveux, le trait stylisé de l’artiste se faufile de rectangle en rectangle, pour s’achever sur la pointe d’un pied tendu, ponctuant malicieusement les multiples tensions de ce corps écartelé qui s’agrippe et s’arc-boute pour avancer en tout sens…

Puis dans la quatrième salle, Anna Gaskell aligne sept photographies, comme sept moments décomposés, qui illustrent un tour complet du corps sur lui-même, en volte-face. Alors qu’un arbre en arrière plan et un ciel sans nuage font sobrement office de décor, une jeune fille vêtue de noir virevolte, faisant tourner sa robe et sa tête blonde, masses en mouvement figées par la prise photographique. Là, pour la première fois, un regard fugitif se dévoile dans l’une des images, au moment précis où le personnage choisit de modifier son orientation, soudain conscient, peut-être, du destin qui lui est imposé. Sous les apparences légères du cloche-pied ou de l’entrechat, il s’agit alors de suivre les revirements d’un corps « métaphore », soulevant la délicate question du libre-arbitre.

Enfin, malgré le demi-tour effectué, l’artiste nous invite à continuer la route, en proposant une seconde série photographique au format plus imposant ; seule au milieu d’une forêt, l’enfant blonde à la robe noire apparaît à nouveau, se prêtant pour chaque scène à un exercice singulier qui semble la mettre en péril. Les yeux bandés et les bras tendus devant elle comme pour jouer à cache-cache, les bottines en l’air et les jupons en bataille après une chute probable dans les feuillages, ou encore la main tendue vers le sol prête à saisir un objet, la jeune fille, sans autre partenaire qu’elle-même, se voit entraînée par les règles de jeux familiers qui lui échappent pourtant. Soignant la mise en scène afin de restituer à la fiction toute sa force évocatrice, Anna Gaskell détourne finalement une certaine mythologie enfantine pour mieux atteindre les adultes que nous sommes, adultes parfois perdus ou contraints, comme dans l’histoire de Hamelin, de suivre les chemins que d’autres ont tracés pour nous.

Salle I :
— Untitled (A Short Story of Happenstance), 2003. C-Print. 181,60 x 223,50 cm chaque.
— Untitled (A Short Story of Happenstance), 2003. C-Print. 76,2 x 101,6 cm chaque.

Salle II
— At Sixes and Sevens, 2003. Encre sur papier. 49 dessins. Dimensions variables.

Salle III
— Hameln 1284, 2003. Film 16 mm tranféré sur DVD.

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