ART | CRITIQUE

Ann Veronica Janssens

PFrançois Salmeron
@24 Mai 2013

Ann Veronica Janssens crée une subtile dialectique entre l’éthéré et le solide, l’impalpable et la masse tangible. Travaillant par là sur la matière et son rapport à la lumière, l’artiste nous embarque également dans une expérience renversante, en nous invitant à parcourir un espace enfumé dont la couleur change au gré de nos pérégrinations.

Première surprise lorsque l’on s’approche de la galerie, l’entrée et les fenêtres du bâtiment se trouvent grandes ouvertes, des nuages de fumée blanche s’échappant des ouvertures pour se dissiper finalement à l’air libre, sous la pluie qui bat dans la cour. Mais sitôt à l’intérieur, une longue et lourde barre d’acier de plus de six mètres de long nous ramène les pieds sur terre.

Ann Veronica Janssens crée ainsi une dialectique nous menant du ciel à la terre, de l’éthéré au solide, de l’impalpable à la masse puissante, imposante et tangible. La barre d’acier IPE 650 nous renvoie en effet vers un objet colossal, un bloc longiligne ancré au sol, si massif et pondéreux qu’il nous semblerait impossible à déplacer.
Nous renvoyant vers les figures mythologiques de Déméter, déesse de la terre, d’Hadès, gardien des Enfers, ou bien encore d’Héphaïstos, dieu des forges, cette poutre d’acier garde également une connotation douce, brillante et lisse, puisqu’Ann Veronica Janssens a poli une de ses faces, sur laquelle la lumière vient se réfléchir et donner quelques éclats lumineux à l’imposante masse.

Si la barre d’acier demeure l’œuvre la plus dense de l’exposition, la plaque de verre 15 May apporte un contrepoint aux qualités matérielles que l’on prête à IPE 650, grâce au verre diaphane et fin qui la compose, où apparaît d’ailleurs une loupe, miroir déformant les surfaces ou accueillant et réfractant les rayons de lumière.

Ann Veronica Janssens opère par la suite une sorte de fusion ou de condensé de ses deux premières œuvres, à travers April et May, deux barres de verre aux tonalités vert et rose, apposées sur le sol de la galerie. Elles reprennent notamment la forme d’un long parallélépipède, à l’image d’IPE 650, ainsi que l’aspect translucide de 15 May.
Les œuvres April et May ont la particularité de capter la lumière, comme si elles la concentraient en leur sein même, dans des condensés vert ou rose où apparaissent de petites bulles, tandis que Clémentine, sorte d’aquarium de verre cubique orange, joue tour-à-tour sur le registre de l’opacité, de la transparence ou du reflet, selon le point de vue que l’on adopte pour l’observer.

Une dernière expérience esthétique nous attend toutefois. Un gardien patiente devant une porte en partie translucide d’où, sitôt qu’il l’entrouvre, s’échappent justement d’épais nuages de fumée. Le portier nous donne des instructions nettes et précises: «Il vous faut faire attention. Il y a deux marches à l’entrée, avec une rampe sur votre gauche pour vous tenir. Vous verrez différentes lumières. Jaune, rouge et bleu. Pour retrouver votre chemin vers la sortie, dirigez-vous vers le rose».
S’inspirant des principes de l’art cinétique et lumineux, ainsi que de l’Op Art, qui se trouvent à l’honneur ce printemps (au Palais de Tokyo, au Centre Pompidou, ou au Grand Palais où Ann Veronica Janssens participe d’ailleurs à l’exposition «Dynamo»), Fantazy prolonge les travaux qui avaient été amorcés depuis 1997 dans des séries d’installation, dont Blue Red and Yellow.

Fantazy nous plonge effectivement dans un univers nébuleux, dont l’épaisse fumée nous empêche de voir plus loin que le bout du nez. Notre perception, nos repères spatiaux, et nos rapports à l’échelle du lieu se trouvent mis à mal. Nous nous trouvons tout à fait désorientés dans un espace que nous devons pourtant nous efforcer d’investir et de sonder avec tout notre corps, en nous engageant en lui, en le parcourant tout entier.
Alors que d’habitude ce type d’installation se compose avec des lumières artificielles, Fantazy se pense à partir des quelques puits de lumière naturelle qui trouent le plafond de la galerie. Les murs ont également été peints de diverses couleurs chaudes.
Pourtant inconsistante et légère, la fumée blanche nous enferme dans un lieu opaque où aucune forme n’est plus distinguable. Et l’espace, relativement restreint en réalité, nous donne l’impression de nous perdre dans un labyrinthe abstrait. A l’arrivée, nous sillonnons l’installation, le pas prudent, passant du jaune au rouge, au rose, au violet, au bleu, comme si nous traversions littéralement ces couleurs.

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