ART | CRITIQUE

Animal Architecture

PPierre-Évariste Douaire
@29 Mar 2010

Cézanne préconisait de regarder la nature à travers le cylindre, la sphère et le cône. Daniel Arsham semble suivre ce conseil en constellant ses immenses calques d’objets géométriques. Cette rencontre entre l’architecture et une ménagerie constituée d’ânes, de renards et d’autruches produit un effet surréaliste.

Maître Corbeau sur son arbre perché tenait dans son bec un fromage. Maître Renard par l’odeur alléché lui tint à peu près ce langage. Bonjour monsieur du Corbeau. Ça vous rappelle quelque chose? Vous avez déjà vu une gravure de Gustave Doré ou de Max Ernst? 2001 l’Odyssée de l’espace de Kubrick est toujours présent à votre esprit? Mélangez vos souvenirs d’enfance et votre dernière séance dans un cinéma d’art et essai à Saint-Michel. La réponse de cette charade se nomme Daniel Arsham.

Animal Architecture
propose la rencontre d’un monolithe avec un aréopage digne de l’Arche de Noé. Un renard sur un rocher, au milieu d’une forêt dense fixe un camembert en lévitation. Des triangles semblables à des panneaux routiers volent devant l’animal en arrêt. La scène est étrange et fascinante. Improbable et mystérieuse. Les lignes dessinées à la gouache se succèdent, balayent le support retenu d’immenses feuilles de calque.
Les dimensions impressionnantes ne sont pas un caprice d’artiste, ni une volonté de faire plus grand, c’est une nécessité. L’application ne se voit pas, la minutie n’est pas l’assurance d’une facture parfaite, réglable sur le champ, argent sonnant et trébuchant au comptant. Ici, le travail colle au format, ce qui n’était pas le cas les fois précédentes. Les météores sont toujours là, ils alunissent sur la Terre, ils forment des constellations, des queues de comètes qui gravitent autour de ces animaux immobiles et curieux.

Cette rencontre entre «l’architecture» et les «animaux» avait un côté fin du monde les fois dernières. Le chaos se disputait à l’entropie. Le désordre et la désolation étaient le résultat de la lutte opposant l’Homme à Mère nature. Le sauvage et l’artifice sont toujours le centre d’intérêt de l’artiste américain, mais le combat s’est transformé en conversation, en interrogation. Les figures géométriques déboulent dans ces paysages, au milieu des talus, telles des apparitions bibliques.
Le triangle, le disque et le rectangle sont des buissons ardents incontournables. Ils sont blancs alors que le reste du tableau est zébré de noir. Ce clair obscur permet d’augmenter la dramatisation de la scène. Les lignes de peinture s’arrêtent autour de ces figures mythiques et mystiques. Comment ne pas penser à Melancolia I de Dürer, où le graveur allemand se représente avec tous les attributs alchimiques de l’époque: compas, règle, ciseau, sphère, rabot. Si la Renaissance cherchait à transformer le plomb en or, Daniel Arsham transforme une surface légèrement opaque, cette feuille de calque, en terrain de lumière.

Placé au milieu des quatre «gravures» sur papier, deux cubes blancs sont posés à même le sol. Sculptures sans socles ou socles sans statues, ces deux monolithes immaculés et échoués sont des échos aux scènes champêtres.
Contrairement aux œuvres dessinées où «l’architecture» pénètre la nature, ce sont les cubes qui sont traversés, percés par les éléments.
Les white cube se transforment en grottes préhistoriques. Les faces rectilignes et lisses deviennent des concrétions calcaires, des murs aux prises apparentes, des parcours d’entraînement pour l’escalade.

Les Pixel Cloud sont basés sur le même principe. Il faut imaginer une grappe de raisin immense suspendue au plafond. Remplacez les grains par des balles de ping pong colorés et vous obtiendrez un «nuage pixellisé». Le principe est très simple, l’artiste à l’aide de son téléphone portable photographie des nuages, en l’occurrence à New York et Miami, et il agrandit le cliché au maximum sur un écran. Il remplace chaque pixel par une balle et la peint dans le même ton. L’effet n’a pas besoin d’explication, mais l’origine de l’histoire est assez poétique. Pour mémoire, le ciel de Floride est plus rose que celui qui gratte la flèche de l’Empire State Building.

Depuis ses premières expositions le style semble s’être affirmé. Le propos est toujours le même, la rencontre entre la nature et la technologie, mais il est dépouillé du superflu. La simplification du propos trouve une efficacité nouvelle. Maturité de l’œuvre? Sans doute, accomplissement d’un travail en devenir? Evidemment.

Liste des Å“uvres
— Daniel Arsham, Pixel Cloud (New York), 2010. Plastique, peinture. 135 x 200 x 170 cm. Unique
— Daniel Arsham, Pixel Cloud (Miami), 2010. Plastique, peinture. 90 x 260 x 140 cm. Unique
— Daniel Arsham, Six erosions to the center (4), 2010. Polystyrène, plâtre, peinture. 122 x 122 x 122 cm. Unique
— Daniel Arsham, Fox, 2010. Gouache sur calque. 213,4 x 171,7 cm. Unique
— Daniel Arsham, Ostrich, 2010. Gouache sur calque. 126,4 x 108 cm. Unique

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