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Angelo Filomeno

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

Tel un orfèvre hors pair, Angelo Filomeno tisse un travail admirable de précision, de technicité et de luxuriance. Il réaffirme ainsi la primauté du geste «artisanal» dans le processus de création et produit une œuvre où se marient richesse des matériaux et étrangeté des sujets.

Pour sa seconde exposition personnelle à la Galerie Anne de Villepoix, Angelo Filomeno présente une série de huit panneaux brodés à la main sur soie, surpiqués à l’aide d’une machine à coudre et clairsemés de cristaux et de matières scintillantes. Le résultat final est monstrueux de patience, de finesse et d’élégance. Les qualités de la soie sont ici déployées par l’artiste afin de produire des tableaux presque picturaux d’où jaillit une lumière chatoyante, tantôt feutrée tantôt éclatante.

L’utilisation de la broderie et l’intérêt qu’il porte à la soie sont indissociablement liés à son parcours personnel: c’est à l’âge de sept ans, alors qu’il grandit dans les Pouilles, dans le sud de l’Italie, qu’il s’initie à cette technique en aidant sa mère brodeuse. De cette imprégnation infantile, Angelo Filomeno acquiert un savoir-faire artisanal qui resurgit de manière évidente dans sa pratique artistique.
Si certains artistes, depuis les années soixante, se sont appliqués à purger l’art de toutes références à la maîtrise d’une technique, à dégager le concept de toute existence physique, Angelo Filomeno, par la précision de son travail et par la richesse des matériaux utilisés, réaffirme le geste comme constituante nécessaire de son art. Ce geste d’artisan, témoin d’un savoir-faire, d’une méthode, d’une ambition se voit débarrassé de sa valeur d’usage par son insertion dans le champ artistique et devient, par une propagation des savoirs, un geste afférent à l’artiste.

Toutefois, la préciosité qui émane de la volonté d’intervention de l’artiste ne peut que révéler la profonde dichotomie, la violente antinomie qui habitent ses œuvres. A l’élégance de la broderie et aux sobres et luxueux effets que produit la soie se heurtent le minimalisme et l’étrangeté des motifs qu’Angelo Filomeno déploie dans ses créations.
La majorité des tableaux est habitée par de mornes crânes qui occupent l’espace central. Qu’ils soient humains ou animaux, ils recouvrent une aura fantastique, parfois au-delà de toutes vraisemblances anthropométriques, et semblent s’inscrire dans un relevé d’anomalies morphologiques parallèles et fantasmées. Ainsi, les crânes de Moon Dark et de Moonlight Blue Silver, flottant dans une nuit étoilée, sont affublés d’incisives centrales exagérément longues qui finissent par s’entrecroiser.
La mort est omniprésente, comme les cafards qui se ruent sur le crâne dans Black Skull, et vient nuancer, comme le sautillant squelette surmonté d’une poule dodue de The Grand Circus, version contemporaine et soyeuse des danses macabres médiévales, l’insignifiance et la vacuité de l’être humain. Angelo Filomeno réactive ainsi, sans délectation morbide, les Vanités picturales qui évoquent, comme Les Ages de la femme peint par Hans Baldung en 1544, la précarité de la vie humaine, la face sombre du destin universel.

Cette étrangeté macabre est également présente dans les sculptures exposées à la Galerie Anne de Villepoix. Sur un piliers, face à l’entrée de la galerie, un crâne humain recouvert d’or et surmonté d’un candélabre crache une gerbe de filaments dorés qui évoque les poules que la mère de l’artiste pendait, une fois égorgées, au chandelier de la maison pour qu’elles se vident de leur sang. Un peu plus loin, on retrouve un coq mort, éventré, de l’intérieur duquel s’échappe un fouillis d’enfilements de cristaux rouges suggérant, une fois encore, le sang de l’animal et l’expérience de la mort par l’enfant.
Dans un style toujours plus élégant et baroque, Angelo Filomeno expose enfin une sorte de heaume médiéval d’une incroyable luxuriance, autour duquel le spectateur peut tourner et observer les détails. A cette expérience physique de l’œuvre s’adjoignent trois photographies du casque qui en démultiplient les perceptions.

Les œuvres d’Angelo Filomeno semblent donc reposer sur une logique d’attirance-répulsion. Attirance pour la beauté des matériaux utilisés, pour la précision du geste et la finesse de l’ouvrage, répulsion pour les motifs et les thèmes macabres développés dans ses œuvres – ou l’inverse, c’est selon. Il met ainsi en tension des perceptions et des sensations antinomiques qu’il fait cohabiter et s’épouser pour constituer l’œuvre.
En lecteur de Jung, Filomeno ne dissocie pas le bien du mal, le beau du laid et surtout la créativité de la destruction, comme le signifie l’ensemble des œuvres exposées et particulièrement Desintegrating Albrecht, hommage à L’Autoportrait avec fleur de ricin de Dürer, dont il reprend les motifs en les brodant dans une variation de vert pour suggérer la persistance du génie mais l’irrémédiable disparition de la beauté.
 

Angelo Filomeno
— Last Scravengers, Tapir, 2005. Broderie sur soie et cristaux. 252 x 130 cm.
— Paracelsus Pissing, 2006. Crâne plaqué en or 2é carats, candélabre, cristal. 210 x 46 x 23 cm.
— Moon Dark, 2007. Broderie sur soie, diamants et cristaux. 54 x 41 cm.
— Moonlight Blue Silver, 2004. Broderie sur soie, diamants et cristaux. 50 x 60 cm.
— Abyssal Discomfort, 2007. Broderie sur soie. 100 x 100 cm.
— Black Skull, 2006. Broderie sur soie et cristaux. 54 x 41 cm.
— Disintegrating Albrecht, 2007. Broderie sur soie et cristaux. 122 x 91 cm.
— The Grand Circus, 2005. Broderie sur soie et cristaux. 252 x 115 cm.
— Sweat Of Poisoned Lover, 2006. Coq empaillé, insectes brodés, table en argent. 200 x 50 x 50 cm.
— Thanksgiving, 2005. Broderie sur soie, 98 x 192 cm.
— As The Lilies Among Thorns, So We Fall Like…, 2006. Broderie sur soie, cristaux, plumes, 193 x 102 x 162 cm.
— As The Lilies Among Thorns, So We Fall Like…, 2006. Fijiprints sur papier, encadrés (tryptique), 117 x 276 cm.

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